Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.

alors cent écus par mois. Mon cher, il y a des gens de talent, comme ce pauvre d’Arthez qui dîne tous les jours chez Flicoteaux, ils sont dix ans avant de gagner cent écus. Vous vous ferez avec votre plume quatre mille francs par an, sans compter les revenus de la Librairie, si vous écrivez pour elle. Or, un Sous-Préfet n’a que mille écus d’appointements, et s’amuse comme un bâton de chaise dans son Arrondissement. Je ne vous parle pas du plaisir d’aller au Spectacle sans payer, car ce plaisir deviendra bientôt une fatigue ; mais vous aurez vos entrées dans les coulisses de quatre théâtres. Soyez dur et spirituel pendant un ou deux mois, vous serez accablé d’invitations, de parties avec les actrices ; vous serez courtisé par leurs amants ; vous ne dînerez chez Flicoteaux qu’aux jours où vous n’aurez pas trente sous dans votre poche, ni pas un dîner en ville. Vous ne saviez où donner de la tête à cinq heures dans le Luxembourg, vous êtes à la veille de devenir une des cent personnes privilégiées qui imposent des opinions à la France. Dans trois jours, si nous réussissons, vous pouvez, avec trente bons mots imprimés à raison de trois par jour, faire maudire la vie à un homme ; vous pouvez vous créer des rentes de plaisir chez toutes les actrices de vos théâtres, vous pouvez faire tomber une bonne pièce et faire courir tout Paris à une mauvaise. Si Dauriat refuse d’imprimer les Marguerites sans vous en rien donner, vous pouvez le faire venir, humble et soumis, chez vous, vous les acheter deux mille francs. Ayez du talent, et flanquez dans trois journaux différents trois articles qui menacent de tuer quelques-unes des spéculations de Dauriat ou un livre sur lequel il compte, vous le verrez grimpant à votre mansarde et y séjournant comme une clématite. Enfin votre roman, les libraires, qui dans ce moment vous mettraient tous à la porte plus ou moins poliment, feront queue chez vous, et le manuscrit, que le père Doguereau vous estimerait quatre cents francs, sera surenchéri jusqu’à quatre mille francs ! Voilà les bénéfices du métier de journaliste. Aussi défendons-nous l’approche des journaux à tous les nouveaux venus ; non-seulement il faut un immense talent, mais encore bien du bonheur pour y pénétrer. Et vous chicanez votre bonheur !… Voyez ? si nous ne nous étions pas rencontrés aujourd’hui chez Flicoteaux, vous pouviez faire le pied de grue encore pendant trois ans ou mourir de faim, comme d’Arthez, dans un grenier. Quand d’Arthez sera devenu aussi instruit que Bayle et aussi grand écrivain