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l’Académie française, et les académiciens seront mieux payés aux Galeries-de-Bois qu’à l’Institut.

— C’est une idée, dit Blondet.

— Une mauvaise idée, reprit Dauriat. Mon affaire n’est pas de procéder au dépouillement des élucubrations de ceux d’entre vous qui se mettent littérateurs quand ils ne peuvent être ni capitalistes, ni bottiers, ni caporaux, ni domestiques, ni administrateurs, ni huissiers ! On n’entre ici qu’avec une réputation faite ! Devenez célèbre, et vous y trouverez des flots d’or. Voilà trois grands hommes de ma façon, j’ai fait trois ingrats ! Nathan parle de six mille francs pour la seconde édition de son livre qui m’a coûté trois mille francs d’articles et ne m’a pas rapporté mille francs. Les deux articles de Blondet, je les ai payés mille francs et un dîner de cinq cents francs…

— Mais, monsieur, si tous les libraires disent ce que vous dites, comment peut-on publier un premier livre ? demanda Lucien aux yeux de qui Blondet perdit énormément de valeur quand il apprit le chiffre auquel Dauriat devait les articles des Débats.

— Cela ne me regarde pas, dit Dauriat en plongeant un regard assassin sur le beau Lucien qui le regarda d’un air agréable. Moi, je ne m’amuse pas à publier un livre, à risquer deux mille francs pour en gagner deux mille ; je fais des spéculations en littérature : je publie quarante volumes à dix mille exemplaires, comme font Panckoucke et les Baudouin. Ma puissance et les articles que j’obtiens poussent une affaire de cent mille écus au lieu de pousser un volume de deux mille francs. Il faut autant de peine pour faire prendre un nom nouveau, un auteur et son livre, que pour faire réussir les Théâtres Étrangers, Victoires et Conquêtes, ou les Mémoires sur la Révolution, qui sont une fortune. Je ne suis pas ici pour être le marchepied des gloires à venir, mais pour gagner de l’argent et pour en donner aux hommes célèbres. Le manuscrit que j’achète cent mille francs est moins cher que celui dont l’auteur inconnu me demande six cents francs ! Si je ne suis pas tout à fait un Mécène, j’ai droit à la reconnaissance de la littérature : j’ai déjà fait hausser de plus du double le prix des manuscrits. Je vous donne ces raisons, parce que vous êtes l’ami de Lousteau, mon petit, dit Dauriat au poète en le frappant sur l’épaule par un geste d’une révoltante familiarité. Si je causais avec tous les auteurs qui veulent que je sois leur éditeur, il faudrait fermer ma boutique, car je passerais