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— Pas encore, j’attends un libraire pour avoir de la monnaie, on jouera peut-être. Je n’ai pas un liard ; et, d’ailleurs, il me faut des gants.

En ce moment les deux nouveaux amis entendirent les pas d’un homme dans le corridor.

— C’est lui, dit Lousteau. Vous allez voir, mon cher, la tournure que prend la Providence quand elle se manifeste aux poètes. Avant de contempler dans sa gloire Dauriat le libraire fashionable, vous aurez vu le libraire du quai des Augustins, le libraire escompteur, le marchand de ferraille littéraire, le Normand ex-vendeur de salade. Arrivez donc, vieux Tartare ? cria Lousteau.

— Me voilà, dit une voix fêlée comme celle d’une cloche cassée.

— Avec de l’argent ?

— De l’argent ? il n’y en a plus en librairie, répondit un jeune homme qui entra en regardant Lucien d’un air curieux.

— Vous me devez cinquante francs d’abord, reprit Lousteau. Puis voici deux exemplaires d’un Voyage en Égypte qu’on dit une merveille, il y foisonne des gravures, il se vendra : Finot a été payé pour deux articles que je dois faire. Item, deux des derniers romans de Victor Ducange, un auteur illustre au Marais. Item, deux exemplaires du second ouvrage d’un commençant, Paul de Kock, qui travaille dans le même genre. Item, deux d’Yseult de Dôle, un joli ouvrage de province. En tout cent francs, au prix fort. Ainsi vous me devez cent francs, mon petit Barbet.

Barbet regarda les livres en en examinant les tranches et les couvertures avec soin.

— Oh ! ils sont dans un état parfait de conservation, s’écria Lousteau. Le Voyage n’est pas coupé ni le Paul de Kock, ni le Ducange, ni celui-là sur la cheminée, Considérations sur la symbolique, je vous l’abandonne, le mythe est si ennuyeux, que je le donne pour ne pas en voir sortir des milliers de mites.

— Eh ! bien, dit Lucien, comment ferez-vous vos articles ?

Barbet jeta sur Lucien un regard de profond étonnement, et reporta ses yeux sur Étienne en ricanant : — On voit que monsieur n’a pas le malheur d’être homme de lettres.

— Non, Barbet, non. Monsieur est un poète, un grand poète qui enfoncera Canalis, Béranger et Delavigne. Il ira loin, à moins qu’il ne se jette à l’eau, encore irait-il jusqu’à Saint-Cloud.