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cevoir du Contrôleur quelque impertinent avis pour se ranger, fit place aux deux femmes.

— Mais cette dame est la marquise d’Espard que vous prétendez connaître, monsieur, dit ironiquement le Contrôleur à Lucien.

Lucien fut d’autant plus abasourdi que madame de Bargeton n’avait pas l’air de le reconnaître dans son nouveau plumage ; mais quand il l’aborda, elle lui sourit et lui dit : — Cela se trouve à merveille, venez !

Les gens du Contrôle étaient redevenus sérieux. Lucien suivit madame de Bargeton, qui, tout en montant le vaste escalier de l’Opéra, présenta son Rubempré à sa cousine. La loge des Premiers Gentilshommes est celle qui se trouve dans l’un des deux pans coupés au fond de la salle : on y est vu comme on y voit de tous côtés. Lucien se mit derrière sa cousine, sur une chaise, heureux d’être dans l’ombre.

— Monsieur de Rubempré, dit la marquise d’un ton de voix flatteur, vous venez pour la première fois à l’Opéra, ayez-en tout le coup d’œil, prenez ce siége, mettez-vous sur le devant, nous vous le permettons.

Lucien obéit, le premier acte de l’opéra finissait.

— Vous avez bien employé votre temps, lui dit Louise à l’oreille dans le premier moment de surprise que lui causa le changement de Lucien.

Louise était restée la même. Le voisinage d’une femme à la mode, de la marquise d’Espard, cette madame de Bargeton de Paris, lui nuisait tant ; la brillante Parisienne faisait si bien ressortir les imperfections de la femme de province, que Lucien, doublement éclairé par le beau monde de cette pompeuse salle et par cette femme éminente, vit enfin dans la pauvre Anaïs de Nègrepelisse la femme réelle, la femme que les gens de Paris voyaient : une femme grande, sèche, couperosée, fanée, plus que rousse, anguleuse, guindée, précieuse, prétentieuse, provinciale dans son parler, mal arrangée surtout ! En effet, les plis d’une vieille robe de Paris attestent encore du goût, on se l’explique, on devine ce qu’elle fut, mais une vieille robe de province est inexplicable, elle est risible. La robe et la femme étaient sans grâce ni fraîcheur, le velours était miroité comme le teint. Lucien, honteux d’avoir aimé cet os de seiche, se promit de profiter du premier accès de vertu de sa Louise pour la quitter. Son excellente vue lui permettait de voir les