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— Enfant ! dit-elle en se moquant. Allons, n’avez-vous pas quelque chose à me dire ? Tu es entré tout préoccupé, mon Lucien.

Lucien confia timidement à sa bien-aimée l’amour de David pour sa sœur, celui de sa sœur pour David, et le mariage projeté.

— Pauvre Lucien, dit-elle, il a peur d’être battu, grondé, comme si c’était lui qui se mariât ! Mais où est le mal ? reprit-elle en passant ses mains dans les cheveux de Lucien. Que me fait ta famille, où tu es une exception ? Si mon père épousait sa servante, t’en inquiéterais-tu beaucoup ? Cher enfant, les amants sont à eux seuls toute leur famille. Ai-je dans le monde un autre intérêt que mon Lucien ? Sois grand, sache conquérir de la gloire, voilà nos affaires !

Lucien fut l’homme du monde le plus heureux de cette égoïste réponse. Au moment où il écoutait les folles raisons par lesquelles Louise lui prouva qu’ils étaient seuls dans le monde, monsieur de Bargeton entra. Lucien fronça le sourcil, et parut interdit, Louise lui fit un signe et le pria de rester à dîner avec eux en lui demandant de lui lire André Chénier, jusqu’à ce que les joueurs et les habitués vinssent.

— Vous ne ferez pas seulement plaisir à elle, dit monsieur de Bargeton, mais à moi aussi. Rien ne m’arrange mieux que d’entendre lire après mon dîner.

Câliné par monsieur de Bargeton, câliné par Louise, servi par les domestiques avec le respect qu’ils ont pour les favoris de leurs maîtres, Lucien resta dans l’hôtel de Bargeton en s’identifiant à toutes les jouissances d’une fortune dont l’usufruit lui était livré. Quand le salon fut plein de monde, il se sentit si fort de la bêtise de monsieur de Bargeton et de l’amour de Louise, qu’il prit un air dominateur que sa belle maîtresse encouragea. Il savoura les plaisirs du despotisme conquis par Naïs et qu’elle aimait à lui faire partager. Enfin il s’essaya pendant cette soirée à jouer le rôle d’un héros de petite ville. En voyant la nouvelle attitude de Lucien, quelques personnes pensèrent qu’il était, suivant une expression de l’ancien temps, du dernier bien avec madame de Bargeton. Amélie, venue avec monsieur du Châtelet, affirmait ce grand malheur dans un coin du salon où s’étaient réunis les jaloux et les envieux.

— Ne rendez pas Naïs comptable de la vanité d’un petit jeune homme tout fier de se trouver dans un monde où il ne croyait jamais pouvoir aller, dit Châtelet. Ne voyez-vous pas que ce Chardon prend les phrases gracieuses d’une femme du monde pour des avances, il