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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Bonne fille ! disait le chevalier en confirmant Josette. Ah ! il pèse quatorze livres !

Du Bousquier n’était pas invité. Mademoiselle Cormon, fidèle au système que vous savez, traitait mal ce quinquagénaire, pour qui elle éprouvait d’inexplicables sentiments attachés aux plus profonds replis de son cœur. Quoiqu’elle l’eût refusé, parfois elle s’en repentait ; elle avait tout ensemble comme un pressentiment qu’elle l’épouserait, et une terreur qui l’empêchait de souhaiter ce mariage. Son âme, stimulée par ces idées, se préoccupait de du Bousquier. Sans se l’avouer, elle était influencée par les formes herculéennes du républicain. Quoiqu’ils ne s’expliquassent pas les contradictions de mademoiselle Cormon, madame Granson et le chevalier de Valois avaient surpris de naïfs regards coulés en dessous, dont la signification était assez claire pour que tous deux essayassent de ruiner les espérances déjà déjouées de l’ancien fournisseur, et qu’il avait certes conservées. Deux convives, que leurs fonctions excusaient par avance, se faisaient attendre : l’un était monsieur du Coudrai, le conservateur des hypothèques ; l’autre, monsieur Choisnel, ancien intendant de la maison de Gordes, le notaire de la haute aristocratie par laquelle il était reçu avec une distinction que lui méritaient ses vertus, et qui d’ailleurs avait une fortune considérable. Quand ces deux retardataires arrivèrent, Jacquelin leur dit : en les voyant aller au salon : — Ils sont tous au jardin.

Sans doute les estomacs étaient impatients, car, à l’aspect du conservateur des hypothèques, un des hommes les plus aimables de la ville, et qui n’avait que le défaut d’avoir épousé, pour sa fortune, une vieille femme insupportable et de commettre d’énormes calembours dont il riait le premier ; il s’éleva le léger brouhaha par lequel s’accueillent les derniers venus en semblable occurrence. En attendant l’annonce officielle du service, la compagnie se promenait sur la terrasse, le long de la Brillante, en regardant les herbes fluviatiles, la mosaïque du lit, et les détails si jolis des maisons accroupies sur l’autre rive, les vieilles galeries de bois, les fenêtres aux appuis en ruines, les étais obliques de quelque chambre en avant sur la rivière, les jardinets où séchaient des guenilles, l’atelier du menuisier, enfin ces misères de petite ville auxquelles le voisinage des eaux, un saule pleureur penché, des fleurs, un rosier communiquent je ne sais quelle grâce, digne des paysagistes. Le chevalier étudiait toutes les figures, car il avait appris que son