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LES RIVALITÉS: LA VIEILLE FILLE.

teur qui lui avait dit de causer avec aménité, quand la pauvre fille voyait la conversation s’allanguir, elle suait dans son corset, tant elle souffrait en essayant d’émettre des idées pour ranimer les discussions éteintes. Elle lâchait alors des propositions étranges, comme celle-ci : personne ne peut se trouver dans deux endroits à la fois, à moins d’être petit oiseau, par laquelle, un jour, elle réveilla, non sans succès, une discussion sur l’ubiquité des apôtres à laquelle elle n’avait rien compris. Ces sortes de rentrées lui méritaient dans sa société le surnom de la bonne mademoiselle Cormon. Dans la bouche des beaux esprits de la société, ce mot voulait dire qu’elle était ignorante comme une carpe, et un peu bestiote ; mais beaucoup de personnes de sa force prenaient l’épithète dans son vrai sens et répondaient : — Oh, oui ! mademoiselle Cormon est excellente. Parfois, elle faisait des questions si absurdes, toujours pour être agréable à ses hôtes et remplir ses devoirs envers le monde, que le monde éclatait de rire. Elle demandait, par exemple, ce que le gouvernement faisait des impositions qu’il recevait depuis si long-temps ; pourquoi la Bible n’avait pas été imprimée du temps de Jésus-Christ, puisqu’elle était de Moïse. Elle était de la force de ce country gentleman qui, entendant toujours parler de la Postérité à la Chambre des Communes, se leva pour faire ce speech devenu célèbre :

— Messieurs, j’entends toujours parler ici de la Postérité, je voudrais bien savoir ce que cette puissance a fait pour l’Angleterre ?

Dans ces circonstances, l’héroïque chevalier de Valois amenait au secours de la vieille fille toutes les forces de sa spirituelle diplomatie en voyant le sourire qu’échangeaient d’impitoyables demi-savants. Le vieux gentilhomme, qui aimait à enrichir les femmes, prêtait de l’esprit à mademoiselle Cormon en la soutenant paradoxalement ; il en couvrait si bien la retraite, que parfois la vieille fille semblait ne pas avoir dit une sottise. Elle avoua sérieusement un jour qu’elle ne savait pas quelle différence il y avait entre les bœufs et les taureaux. Le ravissant chevalier arrêta les éclats de rire en répondant que les bœufs ne pouvaient jamais être que les oncles des taures (nom de la génisse en patois). Une autre fois, entendant beaucoup parler des élèves et des difficultés que ce commerce présentait, conversation qui revenait souvent dans un pays où se trouve le superbe haras du Pin, elle comprit que les chevaux provenaient des montes, et demanda pourquoi