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LES RIVALITÉS: LA VIEILLE FILLE.

gnobles de haute futaie sont en fleurs, voilà mademoiselle Cormon qui part pour le Prébaudet. D’où vient qu’elle se marie si peu ?

— Je l’épouserais bien tout de même, répondait un plaisant : le mariage est à moitié fait, il y a une partie de consentante ; mais l’autre ne veut pas. Bah ! c’est pour monsieur du Bousquier que le four chauffe !

— Monsieur du Bousquier ?… elle l’a refusé.

Le soir, dans toutes les réunions, on se disait gravement : — Mademoiselle Cormon est partie.

Ou : — Vous avez donc laissé partir mademoiselle Cormon ?

Le mercredi choisi par Suzanne pour son esclandre était, par un effet du hasard, ce mercredi d’adieu, jour où mademoiselle Cormon faisait tourner la tête à Josette pour les paquets à emporter. Donc, pendant la matinée, il s’était dit et passé des choses en ville qui prêtaient le plus vif intérêt à cette assemblée d’adieu. Madame Granson était allée sonner la cloche dans dix maisons, pendant que la vieille fille délibérait sur les encas de son voyage, et que le malin chevalier de Valois faisait un piquet chez mademoiselle Armande de Gordes, sœur du vieux marquis de Gordes dont elle tenait la maison, et qui était la reine du salon aristocratique.

S’il n’était indifférent pour personne de voir quelle figure ferait le séducteur pendant la soirée, il était important pour le chevalier et pour madame Granson de savoir comment mademoiselle Cormon prendrait la nouvelle en sa double qualité de fille nubile et de présidente de la Société de Maternité. Quant à l’innocent du Bousquier, il se promenait sur le Cours en commençant à croire que Suzanne l’avait joué : ce soupçon le confirmait dans ses principes à l’endroit des femmes. Dans ces jours de gala, la table était déjà mise vers trois heures et demie ; car en ce temps le monde fashionable d’Alençon dînait, par extraordinaire, à quatre heures. On y dînait encore, sous l’Empire, à deux heures après midi, comme jadis, mais l’on soupait ! Un des plaisirs que mademoiselle Cormon savourait le plus, sans y entendre malice, mais qui certes reposait sur l’égoïsme, consistait dans l’indicible satisfaction qu’elle éprouvait à se voir habillée comme l’est une maîtresse de maison qui va recevoir ses hôtes. Quand elle s’était ainsi mise sous les armes, il se glissait dans les ténèbres de son cœur un rayon d’espoir : une voix lui disait que la nature ne l’avait pas si abondamment pourvue en vain, et qu’il allait se présenter un homme entreprenant. Son