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LE LYS DE LA VALLÉE.

de ce monde une invisible trame de causes célestes qu’un œil religieux aperçoit, et si vous êtes venu ici, peut-être y êtes-vous amené par une de ces célestes étoiles qui brillent dans le monde moral, et qui conduisent vers le tombeau comme vers la crèche…

Il me dit alors, en employant cette onctueuse éloquence qui tombe sur le cœur comme une rosée, que depuis six mois la comtesse avait chaque jour souffert davantage, malgré les soins de monsieur Origet. Le docteur était venu pendant deux mois, tous les soirs, à Clochegourde, voulant arracher cette proie à la mort, car la comtesse avait dit : — « Sauvez-moi ! » — « Mais, pour guérir le corps, il aurait fallu que le cœur fût guéri ! » s’était un jour écrié le vieux médecin.

— Selon les progrès du mal, les paroles de cette femme si douce sont devenues amères, me dit l’abbé de Dominis. Elle crie à la terre de la garder, au lieu de crier à Dieu de la prendre ; puis, elle se repent de murmurer contre les décrets d’en haut. Ces alternatives lui déchirent le cœur, et rendent horrible la lutte du corps et de l’âme. Souvent le corps triomphe ! — « Vous me coûtez bien cher ! » a-t-elle dit un jour à Madeleine et à Jacques en les repoussant de son lit. Mais en ce moment, rappelée à Dieu par ma vue, elle a dit à mademoiselle Madeleine ces angéliques paroles : « Le bonheur des autres devient la joie de ceux qui ne peuvent plus être heureux. » Et son accent fut si déchirant que j’ai senti mes paupières se mouiller. Elle tombe, il est vrai ; mais, à chaque faux pas, elle se relève plus haut vers le ciel.

Frappé des messages successifs que le hasard m’envoyait, et qui, dans ce grand concert d’infortunes, préparaient par de douloureuses modulations le thème funèbre, le grand cri de l’amour expirant, je m’écriai : — Vous le croyez, ce beau lys coupé refleurira dans le ciel ?

— Vous l’avez laissée fleur encore, me répondit-il, mais vous la retrouverez consumée, purifiée dans le feu des douleurs, et pure comme un diamant encore enfoui dans les cendres. Oui, ce brillant esprit, étoile angélique, sortira splendide de ses nuages pour aller dans le royaume de lumière.

Au moment où je serrais la main de cet homme évangélique, le cœur oppressé de reconnaissance, le comte montra hors de la maison sa tête entièrement blanchie et s’élança vers moi par un mouvement où se peignait la surprise.