Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
456
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

suffit, il n’existe aucun remède, et les souffrances sont horribles. Riche, jeune, belle, et mourir maigrie, vieillie par la faim, car elle mourra de faim ! Depuis quarante jours, l’estomac étant comme fermé rejette tout aliment, sous quelque forme qu’on le présente.

Monsieur Origet me pressa la main que je lui tendis, il me l’avait presque demandée par un geste de respect.

— Du courage, monsieur, dit-il en levant les yeux au ciel.

Sa phrase exprimait de la compassion pour des peines qu’il croyait également partagées ; il ne soupçonnait pas le dard envenimé de ses paroles qui m’atteignirent comme une flèche au cœur. Je montai brusquement en voiture en promettant une bonne récompense au postillon si j’arrivais à temps.

Malgré mon impatience, je crus avoir fait le chemin en quelques minutes, tant j’étais absorbé par les réflexions amères qui se pressaient dans mon âme. Elle meurt de chagrin, et ses enfants vont bien ! elle mourait donc par moi ! Ma conscience menaçante prononça un de ces réquisitoires qui retentissent dans toute la vie et quelquefois au delà. Quelle faiblesse et quelle impuissance dans la justice humaine ! elle ne venge que les actes patents. Pourquoi la mort et la honte au meurtrier qui tue d’un coup, qui vous surprend généreusement dans le sommeil et vous endort pour toujours, ou qui frappe à l’improviste, en vous évitant l’agonie ? Pourquoi la vie heureuse, pourquoi l’estime au meurtrier qui verse goutte à goutte le fiel dans l’âme et mine le corps pour le détruire ? Combien de meurtriers impunis ! Quelle complaisance pour le vice élégant ! quel acquittement pour l’homicide causé par les persécutions morales ! Je ne sais quelle main vengeresse leva tout à coup le rideau peint qui couvre la société. Je vis plusieurs de ces victimes qui vous sont aussi connues qu’à moi : madame de Beauséant partie mourante en Normandie quelques jours avant mon départ ! La duchesse de Langeais compromise ! Lady Brandon arrivée en Touraine pour y mourir dans cette humble maison où lady Dudley était restée deux semaines, et tuée, par quel horrible dénoûment ? vous le savez ! Notre époque est fertile en événements de ce genre. Qui n’a connu cette pauvre jeune femme qui s’est empoisonnée, vaincue par la jalousie qui tuait peut-être madame de Mortsauf ? Qui n’a frémi du destin de cette délicieuse jeune fille qui, semblable à une fleur piquée par un taon, a dépéri en deux ans de mariage, victime de sa pudique ignorance, victime d’un