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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

esprit et la fleur de sa pensée pour exprimer ses sentiments, elle se faisait coquette par les idées avec ses enfants et avec moi. Mais l’esprit d’Arabelle ne lui servait pas à rendre la vie aimable, elle ne l’exerçait point à mon profit, il n’existait que par le monde et pour le monde, elle était purement moqueuse ; elle aimait à déchirer, à mordre, non pour m’amuser, mais pour satisfaire un goût. Madame de Mortsauf aurait dérobé son bonheur à tous les regards, lady Arabelle voulait montrer le sien à tout Paris, et, par une horrible grimace, elle restait dans les convenances tout en paradant au Bois avec moi. Ce mélange d’ostentation et de dignité, d’amour et de froideur, blessait constamment mon âme, à la fois vierge et passionnée ; et, comme je ne savais point passer ainsi d’une température à l’autre, mon humeur s’en ressentait ; j’étais palpitant d’amour quand elle reprenait sa pudeur de convention. Quand je m’avisai de me plaindre, non sans de grands ménagements, elle tourna sa langue à triple dard contre moi, mêlant les gasconnades de sa passion à ces plaisanteries anglaises que j’ai tâché de vous peindre. Aussitôt qu’elle se trouvait en contradiction avec moi, elle se faisait un jeu de froisser mon cœur et d’humilier mon esprit, elle me maniait comme une pâte. À des observations sur le milieu que l’on doit garder en tout, elle répondait par la caricature de mes idées, qu’elle portait à l’extrême. Quand je lui reprochais son attitude, elle me demandait si je voulais qu’elle m’embrassât devant tout Paris, aux Italiens ; elle s’y engageait si sérieusement, que, connaissant son envie de faire parler d’elle, je tremblais de lui voir exécuter sa promesse. Malgré sa passion réelle, je ne sentais jamais rien de recueilli, de saint, de profond comme chez Henriette : elle était toujours insatiable comme une terre sablonneuse. Madame de Mortsauf était toujours rassurée et sentait mon âme dans une accentuation ou dans un coup d’œil, tandis que la marquise n’était jamais accablée par un regard, ni par un serrement de main, ni par une douce parole. Il y a plus ! le bonheur de la veille n’était rien le lendemain ; aucune preuve d’amour ne l’étonnait ; elle éprouvait un si grand désir d’agitation, de bruit, d’éclat, que rien n’atteignait sans doute à son beau idéal en ce genre, et de là ses furieux efforts d’amour ; dans sa fantaisie exagérée, il s’agissait d’elle et non de moi. Cette lettre de madame de Mortsauf, lumière qui brillait encore sur ma vie, et qui prouvait la manière dont la femme la plus vertueuse sait obéir au génie de la Française, en accusant une perpé-