Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
423
LE LYS DE LA VALLÉE.

— Où sont-ils ?

— En Angleterre, avec le père.

— Voyons, Félix, soyez franc. Est-elle aussi belle qu’on le dit ?

— Pouvez-vous lui faire une semblable question ? la femme qu’on aime n’est-elle pas toujours la plus belle des femmes, s’écria la comtesse.

— Oui, toujours, dis-je avec orgueil en lui lançant un regard qu’elle ne soutint pas.

— Vous êtes heureux, reprit le comte, oui, vous êtes un heureux coquin. Ah ! dans ma jeunesse, j’aurais été fou d’une semblable conquête…

— Assez, dit madame de Mortsauf, en montrant par un regard Madeleine à son père.

— Je ne suis pas un enfant, dit le comte qui se plaisait à redevenir jeune.

En sortant de table, la comtesse m’amena sur la terrasse, et quand nous y fûmes, elle s’écria : — Comment, il se rencontre des femmes qui sacrifient leurs enfants à un homme ? La fortune, le monde, je le conçois, l’éternité, oui, peut-être ! Mais les enfants ! se priver de ses enfants !

— Oui, et ces femmes voudraient avoir encore à sacrifier plus, elles donnent tout…

Pour la comtesse, le monde se renversa, ses idées se confondirent. Saisie par ce grandiose, soupçonnant que le bonheur devait justifier cette immolation, entendant en elle-même les cris de la chair révoltée, elle demeura stupide en face de sa vie manquée. Oui, elle eut un moment de doute horrible ; mais elle se releva grande et sainte, portant haut la tête.

— Aimez-la donc bien, Félix, cette femme, dit-elle avec des larmes aux yeux, ce sera ma sœur heureuse. Je lui pardonne les maux qu’elle m’a faits, si elle vous donne ce que vous ne deviez jamais trouver ici, ce que vous ne pouvez plus tenir de moi. Vous avez eu raison, je ne vous ai jamais dit que je vous aimasse, et je ne vous ai jamais aimé comme on aime dans ce monde. Mais si elle n’est pas mère, comment peut-elle aimer ?

— Chère sainte, repris-je, il faudrait que je fusse moins ému que je ne le suis pour t’expliquer que tu planes victorieusement au-dessus d’elle, qu’elle est une femme de la terre, une fille des