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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— En sorte, lui dis-je en souriant, que les gens de cœur périssent par l’estomac ?

— Ne riez pas, Félix, rien n’est plus vrai. Les peines trop vives exagèrent le jeu du grand sympathique. Cette exaltation de la sensibilité entretient dans une constante irritation la muqueuse de l’estomac. Si cet état persiste, il amène des perturbations d’abord insensibles dans les fonctions digestives : les sécrétions s’altèrent, l’appétit se déprave et la digestion se fait capricieuse : bientôt des douleurs poignantes apparaissent, s’aggravent et deviennent de jour en jour plus fréquentes ; puis la désorganisation arrive à son comble comme si quelque poison lent se mêlait au bol alimentaire ; la muqueuse s’épaissit, l’induration de la valvule du pylore s’opère et il s’y forme un squirrhe dont il faut mourir. Eh ! bien, j’en suis là, mon cher ! L’induration marche sans que rien puisse l’arrêter. Voyez mon teint jaune-paille, mes yeux secs et brillants, ma maigreur excessive ? Je me dessèche. Que voulez-vous, j’ai rapporté de l’émigration le germe de cette maladie : j’ai tant souffert alors ! Mon mariage, qui pouvait réparer les maux de l’émigration, loin de calmer mon âme ulcérée, a ravivé la plaie. Qu’ai-je trouvé ici ? d’éternelles alarmes causées par mes enfants, des chagrins domestiques, une fortune à refaire, des économies qui engendraient mille privations que j’imposais à ma femme et dont je pâtissais le premier. Enfin, je ne puis confier ce secret qu’à vous, mais voici ma plus dure peine. Quoique Blanche soit un ange, elle ne me comprend pas ; elle ne sait rien de mes douleurs, elle les contrarie, je lui pardonne ! Tenez, ceci est affreux à dire, mon ami ; mais une femme moins vertueuse qu’elle m’aurait rendu plus heureux en se prêtant à des adoucissements que Blanche n’imagine pas, car elle est niaise comme un enfant ! Ajoutez que mes gens me tourmentent, c’est des buses qui entendent grec lorsque je parle français. Quand notre fortune a été reconstruite, coussi coussi, quand j’ai eu moins d’ennui, le mal était fait, j’atteignais à la période des appétits dépravés ; puis est venue ma grande maladie, si mal prise par Origet. Bref, aujourd’hui je n’ai pas six mois à vivre…

J’écoutais le comte avec terreur. En revoyant la comtesse, le brillant de ses yeux secs et la teinte jaune-paille de son front m’avaient frappé, j’entraînai le comte vers la maison en paraissant écouter ses plaintes mêlées de dissertations médicales ; mais je ne songeais qu’à Henriette et voulais l’observer. Je trouvai la comtesse