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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

pétuosité naïve de son âge. Gazelle aux yeux mourants, Madeleine accompagnait sa mère. Je serrai Jacques contre mon cœur en versant sur lui les effusions de l’âme et les larmes que rejetait sa mère. Monsieur de Mortsauf vint à moi me tendit les bras me pressa sur lui m’embrassa sur les joues en me disant : — Félix, j’ai su que je vous devais la vie !

Madame de Mortsauf nous tourna le dos pendant cette scène, en prenant le prétexte de montrer le cheval à Madeleine stupéfaite.

— Ha ! diantre ! voilà bien les femmes, cria le comte en colère, elles examinent votre cheval.

Madeleine se retourna, vint à moi, je lui baisai la main en regardant la comtesse qui rougit.

— Elle est bien mieux, Madeleine, dis-je.

— Pauvre fillette ! répondit la comtesse en la baisant au front.

— Oui, pour le moment, ils sont tous bien, répondit le comte. Moi seul, mon cher Félix, suis délabré comme une vieille tour qui va tomber.

— Il paraît que le général a toujours ses dragons noirs, repris-je en regardant madame de Mortsauf.

— Nous avons tous nos blues devils, répondit-elle. N’est-ce pas le mot anglais ?

Nous remontâmes vers les clos en nous promenant ensemble, et sentant tous qu’il était survenu quelque grave événement. Elle n’avait aucun désir d’être seule avec moi. Enfin j’étais son hôte.

— Pour le coup, et votre cheval ? dit le comte quand nous fûmes sortis.

— Vous verrez, reprit la comtesse, que j’aurai tort en y pensant et tort en n’y pensant plus.

— Mais oui, dit-il, il faut tout faire en temps utile.

— J’y vais, dis-je en trouvant ce froid accueil insupportable. Moi seul puis le faire sortir et le caser comme il faut. Mon groom vient par la voiture de Chinon, il le pansera.

— Le groom arrive-t-il aussi d’Angleterre ? dit-elle.

— Il ne s’en fait que là, répondit le comte qui devint gai en voyant sa femme triste.

La froideur de sa femme fut une occasion de la contredire, il m’accabla de son amitié. Je connus la pesanteur de l’attachement d’un mari. Ne croyez pas que le moment où leurs attentions assas-