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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

puyée sur la muraille. Je me réveillai soudain en me sentant le front touché par je ne sais quoi de frais qui me donna une sensation comparable à celle d’une rose qu’on y eût appuyée. Je vis la comtesse à trois pas de moi, qui me dit : — « J’arrive ! » Je m’en allai ; mais en lui souhaitant le bonjour, je lui pris la main, et la sentis humide et tremblante.

— Souffrez-vous ? lui dis-je.

— Pourquoi me faites-vous cette question ? me demanda-t-elle. Je la regardai, rougissant, confus : — J’ai rêvé, dis-je.

Un soir, pendant les dernières visites de monsieur Origet, qui avait positivement annoncé la convalescence du comte, je me trouvais avec Jacques et Madeleine sous le perron où nous étions tous trois couchés sur les marches, emportés par l’attention que demandait une partie d’onchets que nous faisions avec des tuyaux de paille et des crochets armés d’épingles. Monsieur de Mortsauf dormait. En attendant que son cheval fût attelé ; le médecin et la comtesse causaient à voix basse dans le salon. Monsieur Origet s’en alla sans que je m’aperçusse de son départ. Après l’avoir reconduit, Henriette s’appuya sur la fenêtre d’où elle contempla sans doute pendant quelque temps, à notre insu. La soirée était une de ces soirées chaudes où le ciel prend les teintes du cuivre, où la campagne envoie dans les échos mille bruits confus. Un dernier rayon de soleil se mourait sur les toits, les fleurs des jardins embaumaient les airs, les clochettes des bestiaux ramenés aux étables retentissaient au loin. Nous nous conformions au silence de cette heure tiède en étouffant nos cris de peur d’éveiller le comte. Tout à coup, malgré le bruit onduleux d’une robe, j’entendis la contraction gutturale d’un soupir violemment réprimé ; je m’élançai dans le salon, j’y vis la comtesse assise dans l’embrasure de la fenêtre, un mouchoir sur la figure ; elle reconnut mon pas, et me fit un geste impérieux pour m’ordonner de la laisser seule. Je vins, le cœur pénétré de crainte, et voulus lui ôter son mouchoir de force, elle avait le visage baigné de larmes ; elle s’enfuit dans sa chambre, et n’en sortit que pour la prière. Pour la première fois, depuis cinquante jours, je l’emmenai sur la terrasse et lui demandai compte de son émotion ; mais elle affecta la gaieté la plus folle et la justifia par la bonne nouvelle que lui avait donnée Origet.

— Henriette, Henriette, lui dis-je, vous la saviez au moment où je vous ai vue pleurant. Entre nous deux un mensonge serait