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LE LYS DE LA VALLÉE.

— Il est donc toujours le même ? lui dis-je quand le comte nous quitta forcément réclamé par son piqueur qui vint le chercher.

— Toujours, me répondit Jacques.

— Toujours excellent, mon fils, dit-elle à Jacques en essayant ainsi de soustraire monsieur de Mortsauf au jugement de ses enfants. Vous voyez le présent, vous ignorez le passé, vous ne sauriez critiquer votre père sans commettre quelque injustice ; mais eussiez-vous la douleur de voir votre père en faute, l’honneur des familles exige que vous ensevelissiez de tels secrets dans le plus profond silence.

— Comment vont les changements à la Cassine et à la Rhétorière ? lui demandai-je pour la tirer de ses amères pensées.

— Au delà de mes espérances, me dit-elle. Les bâtiments finis, nous avons trouvé deux fermiers excellents qui ont pris l’une à quatre mille cinq cents francs, impôts payés, l’autre à cinq mille francs ; et les baux sont consentis pour quinze ans. Nous avons déjà planté trois mille pieds d’arbres sur les deux nouvelles fermes. Le parent de Manette est enchanté d’avoir la Rabelaye. Martineau tient la Baude. Le bien de nos quatre fermiers consiste en prés et en bois, dans lesquels ils ne portent point, comme le font quelques fermiers peu consciencieux, les fumiers destinés à nos terres de labour. Ainsi nos efforts ont été couronnés par le plus beau succès. Clochegourde, sans les réserves que nous nommons la ferme du château, sans les bois ni les clos, rapporte dix-neuf mille francs, et les plantations nous ont préparé de belles annuités. Je bataille pour faire donner nos terres réservées à Martineau, notre garde, qui maintenant peut se faire remplacer par son fils. Il en offre trois mille francs si monsieur de Mortsauf veut lui bâtir une ferme à la Commanderie. Nous pourrions alors dégager les abords de Clochegourde, achever notre avenue projetée jusqu’au chemin de Chinon, et n’avoir que nos vignes et nos bois à soigner. Si le roi revient, notre pension reviendra ; nous y consentirons après quelques jours de croisière contre le bon sens de notre femme. La fortune de Jacques sera donc indestructible. Ces derniers résultats obtenus, je laisserai monsieur thésauriser pour Madeleine, que le roi dotera d’ailleurs selon l’usage. J’ai la conscience tranquille ; ma tâche s’accomplit. Et vous ? me dit-elle.

Je lui expliquai ma mission, et lui fis voir combien son conseil