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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

dont les harmonies font gagner en profondeur aux sentiments ce qu’ils perdent en vivacité. Ce fut une journée unique en la vie de cette pauvre femme, un point brillant que vint souvent caresser son souvenir aux heures difficiles. En effet, les leçons d’équitation devinrent bientôt un sujet de discorde. La comtesse craignit avec raison les dures apostrophes du père pour le fils. Jacques maigrissait déjà, ses beaux yeux bleus se cernaient ; pour ne pas causer de chagrin à sa mère, il aimait mieux souffrir en silence. Je trouvai un remède à ses maux en lui conseillant de dire à son père qu’il était fatigué, quand le comte se mettrait en colère ; mais ces palliatifs furent insuffisants : il fallut substituer le vieux piqueur au père, qui ne se laissa pas arracher son écolier sans des tiraillements. Les criailleries et les discussions revinrent ; le comte trouva des textes à ses plaintes continuelles dans le peu de reconnaissance des femmes ; il jeta vingt fois par jour la calèche, les chevaux et les livrées au nez de sa femme. Enfin il arriva l’un de ces événements auxquels les caractères de ce genre et les maladies de cette espèce aiment à se prendre : la dépense dépassa de moitié les prévisions à la Cassine et à la Rhétorière, où des murs et des planchers mauvais s’écroulèrent. Un ouvrier vient maladroitement annoncer cette nouvelle à monsieur de Mortsauf, au lieu de la dire à la comtesse. Ce fut l’objet d’une querelle commencée doucement, mais qui s’envenima par degrés ; et où l’hypocondrie du comte, apaisée depuis quelques jours, demanda ses arrérages à la pauvre Henriette.

Ce jour-là, j’étais parti de Frapesle à dix heures et demie, après le déjeuner, pour venir faire à Clochegourde un bouquet avec Madeleine. L’enfant m’avait apporté sur la balustrade de la terrasse les deux vases, et j’allais des jardins aux environs, courant après les fleurs d’automne, si belles, mais si rares. En revenant de ma dernière course, je ne vis plus mon petit lieutenant à ceinture rose, à pèlerine dentelée, et j’entendis des cris à Clochegourde.

— Le général, me dit Madeleine en pleurs, et chez elle ce mot était un mot de haine contre son père, le général gronde notre mère, allez donc la défendre.

Je volai par les escaliers et j’arrivai dans le salon sans être aperçu ni salué par le comte ni par sa femme. En entendant les cris aigus du fou, j’allai fermer toutes les portes, puis je revins, j’avais vu Henriette aussi blanche que sa robe.

— Ne vous mariez jamais, Félix, me dit le comte ; une femme est