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LE LYS DE LA VALLÉE.

après les avoir cultivées pendant une année ou deux, en y envoyant pour régisseur un certain Martineau, le meilleur, le plus probe de ses métiviers, lequel allait se trouver sans place ; car les baux à moitié de ses quatre métairies finissaient, et le moment de les réunir en deux fermes et de louer en argent était venu. Ses idées si simples, mais compliquées de trente et quelques mille francs à dépenser, étaient en ce moment l’objet de longues discussions entre elle et le comte ; querelles affreuses, et dans lesquelles elle n’était soutenue que par l’intérêt de ses deux enfants. Cette pensée : — « Si je mourais demain, qu’adviendrait-il ? » lui donnait des palpitations. Les âmes douces et paisibles chez lesquelles la colère est impossible, qui veulent faire régner autour d’elles leur profonde paix intérieure, savent seules combien de force est nécessaire pour ces luttes, quelles abondantes vagues de sang affluent au cœur avant d’entamer le combat, quelle lassitude s’empare de l’être quand après avoir lutté rien n’est obtenu. Au moment où ses enfants étaient moins étiolés, moins maigres, plus agiles, car la saison des fruits avait produit ses effets sur eux ; au moment où elle les suivait d’un œil mouillé dans leurs jeux, en éprouvant un contentement qui renouvelait ses forces en lui rafraîchissant le cœur, la pauvre femme subissait les pointilleries injurieuses et les attaques lancinantes d’une âcre opposition. Le comte, effrayé de ces changements, en niait les avantages et la possibilité par un entêtement compact. À des raisonnements concluants, il répondait par l’objection d’un enfant qui mettrait en question l’influence du soleil en été. La comtesse l’emporta. La victoire du bon sens sur la folie calma ses plaies, elle oublia ses blessures. Ce jour elle s’alla promener à la Cassine et à la Rhétorière, afin d’y décider les constructions. Le comte marchait seul en avant, les enfants nous séparaient, et nous étions tous deux en arrière suivant lentement, car elle me parlait de ce ton doux et bas qui faisait ressembler ses phrases à des flots menus, murmurés par la mer sur un sable fin.

« Elle était certaine du succès, me disait-elle. Il allait s’établir une concurrence pour le service de Tours à Chinon, entreprise par un homme actif, par un messager, cousin de Manette, qui voulait avoir une grande ferme sur la route. Sa famille était nombreuse : le fils aîné conduirait les voitures, le second ferait les roulages ; le père, placé sur la route, à La Rabelaye, une des fermes à louer et située au centre, pourrait veiller au relais et cultiverait bien les