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LE LYS DE LA VALLÉE.

friand plaisir d’être, au sein d’une maison étrangère, le privilégié de la maîtresse, le centre secret de ses affections : les chiens n’aboient plus après vous, les domestiques reconnaissent, aussi bien que les chiens, les insignes cachés que vous portez ; les enfants, chez lesquels rien n’est faussé, qui savent que leur part ne s’amoindrira jamais, et que vous êtes bienfaisant à la lumière de leur vie, ces enfants possèdent un esprit divinateur ; ils se font chats pour vous, ils ont de ces bonnes tyrannies qu’ils réservent aux êtres adorés et adorants ; ils ont des discrétions spirituelles et sont d’innocents complices ; ils viennent à vous sur la pointe des pieds, vous sourient et s’en vont sans bruit. Pour vous, tout s’empresse, tout vous aime et vous rit. Les passions vraies semblent être de belles fleurs qui font d’autant plus de plaisir à voir que les terrains où elles se produisent sont plus ingrats. Mais si j’eus les délicieux bénéfices de cette naturalisation dans une famille où je trouvais des parents selon mon cœur, j’en eus aussi les charges. Jusqu’alors monsieur de Mortsauf s’était gêné pour moi ; je n’avais vu que les masses de ses défauts, j’en sentis bientôt l’application dans toute son étendue, et vis combien la comtesse avait été noblement charitable en me dépeignant ses luttes quotidiennes. Je connus alors tous les angles de ce caractère intolérable : j’entendis ces criailleries continuelles à propos de rien, ces plaintes sur des maux dont aucun signe n’existait au dehors, ce mécontentement inné qui déflorait la vie, et ce besoin incessant de tyrannie qui lui aurait fait dévorer chaque année de nouvelles victimes. Quand nous nous promenions le soir, il dirigeait lui-même la promenade ; mais quelle qu’elle fût, il s’y était toujours ennuyé ; de retour au logis, il mettait sur les autres le fardeau de sa lassitude ; sa femme en avait été la cause en le menant contre son gré là où elle voulait aller ; ne se souvenant plus de nous avoir conduits, il se plaignait d’être gouverné par elle dans les moindres détails de la vie, de ne pouvoir garder ni une volonté ni une pensée à lui, d’être un zéro dans sa maison. Si ses duretés rencontraient une silencieuse patience, il se fâchait en sentant une limite à son pouvoir ; il demandait aigrement si la religion n’ordonnait pas aux femmes de complaire à leurs maris, s’il était convenable de mépriser le père de ses enfants. Il finissait toujours par attaquer chez sa femme une corde sensible et quand il l’avait fait résonner, il semblait goûter un plaisir particulier à ces nullités dominatrices. Quelquefois il affectait un mutisme