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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

résoudre en souffrances pour moi. Je me donne à vous sans arrière-pensée et serai ce que vous voudrez que je sois.

Elle m’arrêta par un geste et me dit de sa voix profonde : — Je consens à ce pacte si vous voulez ne jamais presser les liens qui nous attacheront.

— Oui, lui dis-je, mais moins vous m’accorderez, plus certainement dois-je posséder.

— Vous commencez par une méfiance, répondit-elle en exprimant la mélancolie du doute.

— Non, mais par une jouissance pure. Écoutez ! je voudrais de vous un nom qui ne fût à personne, comme doit être le sentiment que nous nous vouons.

— C’est beaucoup, dit-elle, mais je suis moins petite que vous ne le croyez. Monsieur de Mortsauf m’appelle Blanche. Une seule personne au monde, celle que j’ai le plus aimée, mon adorable tante me nommait Henriette. Je redeviendrai donc Henriette pour vous.

Je lui pris la main et la baisai. Elle me l’abandonna dans cette confiance qui rend la femme si supérieure à nous, confiance qui nous accable. Elle s’appuya sur la balustrade en briques et regarda l’Indre.

— N’avez-vous pas tort, mon ami, dit-elle, d’aller du premier bond au bout de la carrière ? Vous avez épuisé, par votre première aspiration, une coupe offerte avec candeur. Mais un vrai sentiment ne se partage pas, il doit être entier ou il n’est pas. Monsieur de Mortsauf, me dit-elle après un moment de silence, est par-dessus tout loyal et fier. Peut-être seriez-vous tenté, pour moi, d’oublier ce qu’il a dit ; s’il n’en sait rien, moi demain je l’en instruirai. Soyez quelque temps sans vous montrer à Clochegourde, il vous en estimera davantage. Dimanche prochain, au sortir de l’église il ira lui-même à vous ; je le connais, il effacera ses torts ; et vous aimera de l’avoir traité comme un homme responsable de ses actions et de ses paroles.

— Cinq jours sans vous voir, sans vous entendre !

— Ne mettez jamais cette chaleur aux paroles que vous me direz, dit-elle.

Nous fîmes deux fois le tour de la terrasse en silence. Puis elle