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LE LYS DE LA VALLÉE.

qui unit les familles. Si je partais, aucun domestique ne resterait ici huit jours. Vous voyez bien que je suis attachée à Clochegourde comme ces bouquets de plomb le sont à nos toits. Je n’ai pas eu d’arrière-pensée avec vous, monsieur. Toute la contrée ignore les secrets de Clochegourde, et maintenant vous les savez. N’en dites rien que de bon et d’obligeant, et vous aurez mon estime, ma reconnaissance, ajouta-t-elle encore d’une voix adoucie. À ce prix, vous pouvez toujours revenir à Clochegourde, vous y trouverez des cœurs amis.

— Mais, dis-je, moi je n’ai jamais souffert ! Vous seule…

— Non ! reprit-elle en laissant échapper ce sourire des femmes résignées qui fendrait le granit, ne vous étonnez pas de cette confidence, elle vous montre la vie comme elle est, et non comme votre imagination vous l’a fait espérer. Nous avons tous nos défauts et nos qualités. Si j’eusse épousé quelque prodigue, il m’aurait ruinée. Si j’eusse été donnée à quelque jeune homme ardent et voluptueux, il aurait eu des succès, peut-être n’aurais-je pas su le conserver, il m’aurait abandonnée, je serais morte de jalousie. Je suis jalouse ! dit-elle avec un accent d’exaltation qui ressemblait au coup de tonnerre d’un orage qui passe. Hé ! bien, monsieur m’aime autant qu’il peut m’aimer ; tout ce que son cœur enferme d’affection, il le verse à mes pieds, comme la Madeleine a versé le reste de ses parfums aux pieds du Sauveur. Croyez-le ! une vie d’amour est une fatale exception à la loi terrestre ; toute fleur périt, les grandes joies ont un lendemain mauvais, quand elles ont un lendemain. La vie réelle est une vie d’angoisses : son image est dans cette ortie, venue au pied de la terrasse, et qui, sans soleil, demeure verte sur sa tige. Ici, comme dans les patries du nord, il est des sourires dans le ciel, rares il est vrai, mais qui paient bien des peines. Enfin les femmes qui sont exclusivement mères ne s’attachent-elles pas plus par les sacrifices que par les plaisirs ? Ici j’attire sur moi les orages que je vois prêts à fondre sur les gens ou sur mes enfants, et j’éprouve en les détournant je ne sais quel sentiment qui me donne une force secrète. La résignation de la veille a toujours préparé celle du lendemain. Dieu ne me laisse d’ailleurs point sans espoir. Si d’abord la santé de mes enfants m’a désespérée, aujourd’hui plus ils avancent dans la vie, mieux ils se portent. Après tout, notre demeure s’est embellie, la fortune se répare. Qui sait si la vieillesse de monsieur ne sera pas heureuse par moi ? Croyez-le ! l’être qui se présente devant