Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
LE LYS DE LA VALLÉE.

d’être une fille quand les fils étaient morts. Elle m’expliqua les différences que son état de fille sans cesse attachée aux flancs d’une mère mettait entre ses douleurs et celles d’un enfant jeté dans le monde des colléges. Ma solitude avait été comme un paradis, comparée au contact de la meule sous laquelle son âme fut sans cesse meurtrie, jusqu’au jour où sa véritable mère, sa bonne tante l’avait sauvée en l’arrachant à ce supplice dont elle me raconta les renaissantes douleurs. C’était les inexplicables pointilleries insupportables aux natures nerveuses qui ne reculent pas devant un coup de poignard et meurent sous l’épée de Damoclès : tantôt une expansion généreuse arrêtée par un ordre glacial, tantôt un baiser froidement reçu ; un silence imposé, reproché tour à tour ; des larmes dévorées qui lui restaient sur le cœur ; enfin les mille tyrannies du couvent, cachées aux yeux des étrangers sous les apparences d’une maternité glorieusement exaltée. Sa mère tirait vanité d’elle, et la vantait ; mais elle payait cher le lendemain ces flatteries nécessaires au triomphe de l’Institutrice. Quand, à force d’obéissance et de douceur, elle croyait avoir vaincu le cœur de la mère, et qu’elle s’ouvrait à elle, le tyran reparaissait armé de ces confidences. Un espion n’eût pas été si lâche ni si traître. Tous ses plaisirs de jeune fille, ses fêtes lui avaient été chèrement vendues, car elle était grondée d’avoir été heureuse, comme elle l’eût été pour une faute. Jamais les enseignements de sa noble éducation ne lui avaient été donnés avec amour, mais avec une blessante ironie. Elle n’en voulait point à sa mère, elle se reprochait seulement de ressentir moins d’amour que de terreur pour elle. Peut-être, pensait cet ange, ces sévérités étaient-elles nécessaires ? ne l’avaient-elles pas préparée à sa vie actuelle ? En l’écoutant, il me semblait que la harpe de Job de laquelle j’avais tiré de sauvages accords, maintenant maniée par des doigts chrétiens, y répondait en chantant les litanies de la Vierge au pied de la croix.

— Nous vivions dans la même sphère avant de nous retrouver ici, vous partie de l’orient et moi de l’occident.

Elle agita la tête par un mouvement désespéré : — À vous l’orient, à moi l’occident, dit-elle. Vous vivrez heureux, je mourrai de douleur ! Les hommes font eux-mêmes les événements de leur vie, et la mienne est à jamais fixée. Aucune puissance ne peut briser cette lourde chaîne à laquelle la femme tient par un anneau d’or, emblème de la pureté des épouses.