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LE LYS DE LA VALLÉE.

petite maîtresse, reprit-elle pour adoucir l’idée de la folie en adoucissant le mot, mais il n’est ainsi que par intervalles, une fois au plus par année, lors des grandes chaleurs. Combien de maux a causés l’émigration ! Combien de belles existences perdues ! Il eût été, j’en suis certaine, un grand homme de guerre, l’honneur de son pays.

— Je le sais, lui dis-je en l’interrompant à mon tour, et lui faisant comprendre qu’il était inutile de me tromper.

Elle s’arrêta, posa l’une de ses mains sur son front, et me dit : — Qui vous a donc ainsi produit dans notre intérieur ? Dieu veut-il m’envoyer un secours, une vive amitié qui me soutienne ? reprit-elle en appuyant sa main sur la mienne avec force, car vous êtes bon, généreux… Elle leva les yeux vers le ciel, comme pour invoquer un visible témoignage qui lui confirmât ses secrètes espérances, et les reporta sur moi. Électrisé par ce regard qui jetait une âme dans la mienne, j’eus, selon la jurisprudence mondaine, un manque de tact ; mais, chez certaines âmes, n’est-ce pas souvent précipitation généreuse au-devant d’un danger, envie de prévenir un choc, crainte d’un malheur qui n’arrive pas, et plus souvent encore n’est-ce pas l’interrogation brusque faite à un cœur, un coup donné pour savoir s’il résonne à l’unisson ? Plusieurs pensées s’élevèrent en moi comme des lueurs, et me conseillèrent de laver la tache qui souillait ma candeur, au moment où je prévoyais une complète initiation.

— Avant d’aller plus loin, lui dis-je d’une voix altérée par des palpitations facilement entendues dans le profond silence où nous étions, permettez-moi de purifier un souvenir du passé ?

— Taisez-vous, me dit-elle vivement en me mettant sur les lèvres un doigt qu’elle ôta aussitôt. Elle me regarda fièrement comme une femme trop haut située pour que l’injure puisse l’atteindre, et me dit d’une voix troublée : — Je sais de quoi vous voulez parler. Il s’agit du premier, du dernier, du seul outrage que j’aurai reçu ! Ne parlez jamais de ce bal. Si la chrétienne vous a pardonné, la femme souffre encore.

— Ne soyez pas plus impitoyable que ne l’est Dieu, lui dis-je en gardant entre mes cils les larmes qui me vinrent aux yeux.

— Je dois être plus sévère, je suis plus faible, répondit-elle.

— Mais, repris-je avec une manière de révolte enfantine, écoutez-moi, quand ce ne serait que pour la première, la dernière et la seule fois de votre vie.