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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Mortsauf, qui laissa tomber tout à coup le livre où lisait Madeleine, et prit sur ses genoux Jacques en proie à une toux convulsive.

— Hé ! bien, qu’y a-t-il ? s’écria le comte en devenant blême.

— Il a mal à la gorge, répondit la mère qui semblait ne pas me voir, ce ne sera rien.

Elle lui tenait à la fois la tête et le dos, et de ses yeux sortaient deux rayons qui versaient la vie à cette pauvre faible créature.

— Vous êtes d’une incroyable imprudence, reprit le comte avec aigreur, vous l’exposez au froid de la rivière et l’asseyez sur un banc de pierre.

— Mais, mon père, le banc brûle, s’écria Madeleine.

— Ils étouffaient là-haut, dit la comtesse.

— Les femmes veulent toujours avoir raison ! dit-il en me regardant.

Pour éviter de l’approuver ou de l’improuver par mon regard, je contemplais Jacques qui se plaignait de souffrir dans la gorge, et que sa mère emporta. Avant de nous quitter, elle put entendre son mari.

— Quand on a fait des enfants si mal portants, on devrait savoir les soigner ! dit-il.

Paroles profondément injustes ; mais son amour-propre le poussait à se justifier aux dépens de sa femme. La comtesse volait en montant les rampes et les perrons. Je la vis disparaissant par la porte-fenêtre. Monsieur de Mortsauf s’était assis sur le banc, la tête inclinée, songeur ; ma situation devenait intolérable, il ne me regardait ni ne me parlait. Adieu cette promenade pendant laquelle je comptais me mettre si bien dans son esprit. Je ne me souviens pas d’avoir passé dans ma vie un quart d’heure plus horrible que celui-là. Je suais à grosses gouttes, me disant : M’en irai je ! ne m’en irai-je pas ! Combien de pensées tristes s’élevèrent en lui pour lui faire oublier d’aller savoir comment se trouvait Jacques ! Il se leva brusquement et vint auprès de moi. Nous nous retournâmes pour regarder la riante vallée.

— Nous remettrons à un autre jour notre promenade, monsieur le comte, lui dis-je alors avec douceur.

— Sortons ! répondit-il. Je suis malheureusement habitué à voir souvent de semblables crises, moi qui donnerais ma vie sans aucun regret pour conserver celle de cet enfant.