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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

le jeune comte, mademoiselle Armande et le beau petit page qui allait repartir se trouvèrent seuls avec le chevalier, à qui l’on ne put cacher le sexe de ce charmant cavalier et qui fut le seul dans la ville, hormis les trois juges et madame Camusot, de qui la présence de la duchesse fut connue.

— La maison d’Esgrignon est sauvée, dit Chesnel, mais elle ne se relèvera pas de ce choc d’ici à cent ans. Il faut maintenant payer les dettes, et vous ne pouvez plus, monsieur le comte, faire autre chose que vous marier avec une héritière.

— Et la prendre où elle sera, dit la duchesse.

— Une seconde mésalliance, s’écria mademoiselle Armande.

La duchesse se mit à rire.

— Il vaut mieux se marier que de mourir, dit-elle en sortant de la poche de son gilet un petit flacon donné par l’apothicairerie du château des Tuileries.

Mademoiselle Armande fit un geste d’effroi, le vieux Chesnel prit la main de la belle Maufrigneuse et la lui baisa sans permission.

— Vous êtes donc fous, ici ? reprit la duchesse. Vous voulez donc rester au quinzième siècle quand nous sommes au dix-neuvième ? Mes chers enfants, il n’y a plus de noblesse, il n’y a plus que de l’aristocratie. Le Code civil le Napoléon a tué les parchemins comme le canon avait déjà tué la féodalité. Vous serez bien plus nobles que vous ne l’êtes quand vous aurez de l’argent. Epousez qui vous voudrez, Victurnien, vous anoblirez votre femme, voilà le plus solide des priviléges qui restent à la noblesse française. Monsieur de Talleyrand n’a-t-il pas épousé madame Grandt sans se compromettre ? Souvenez-vous de Louis XIV marié à la veuve Scarron !

— Il ne l’avait pas épousée pour son argent, dit mademoiselle, Armande.

— Recevriez-vous la comtesse d’Esgrignon, si c’était la nièce d’un du Croisier ? dit Chesnel.

— Peut-être, répondit la duchesse, mais le roi, sans aucun doute, la verrait avec plaisir. Vous ne savez donc pas ce qui se passe ? dit-elle en voyant l’étonnement peint sur tous les visages. Victurnien est venu à Paris, il sait comment y vont les choses. Nous étions plus puissants sous Napoléon. Victurnien, épousez mademoiselle Duval, épousez qui vous voudrez, elle sera marquise d’Esgrignon tout aussi bien que je suis duchesse de Maufrigneuse.