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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

— C’est la duchesse de Maufrigneuse, envoyée par le Roi pour sauver le jeune d’Esgrignon, arrêté hier par suite d’une plainte en faux portée par du Croisier. Madame la duchesse a la parole du Garde des Sceaux, il ratifiera les promesses qu’elle nous fera…

— Mon cactus est sauvé ! dit le juge qui examinait sa plante précieuse. Allez, j’écoute.

— Consultez-vous avec Camusot et Michu pour étouffer l’affaire au plus tôt, et votre fils sera nommé. Sa nomination arrivera alors assez à temps pour vous permettre de déjouer les intrigues des du Ronceret auprès des Blandureau. Votre fils sera mieux que juge-suppléant, il aura la succession de monsieur Camusot dans l’année. Le Procureur du Roi arrive aujourd’hui, monsieur Sauvager sera sans doute forcé de donner sa démission, à cause de sa conduite dans cette affaire. Mon mari vous montrera des pièces au Palais qui établissent l’innocence du comte, et qui prouvent que le faux est un guet-apens tendu par du Croisier.

Le vieux juge entra dans le cirque olympique de ses six mille pélargonium, et y salua la duchesse.

— Monsieur, dit-il, si ce que vous voulez est légal, cela pourra se faire.

— Monsieur, répondit la duchesse, remettez votre démission demain à monsieur Chesnel, je vous promets de vous faire envoyer dans la semaine la nomination de votre fils, mais ne la donnez qu’après avoir entendu monsieur le Procureur du Roi vous confirmer mes paroles. Vous vous comprenez mieux entre vous autres gens de justice. Seulement faites-lui savoir que la duchesse de Maufrigneuse vous a engagé sa parole. Silence sur mon voyage ici, dit-elle.

Le vieux juge lui baisa la main, et se mit à cueillir sans pitié les plus belles fleurs qu’il lui offrit.

— Y pensez-vous ! donnez-les à madame, lui dit la duchesse, il n’est pas naturel de voir des fleurs à un homme qui donne le bras à une jolie femme.

— Avant d’aller au Palais, lui dit madame Camusot, allez vous informer chez le successeur de Chesnel des propositions faites par lui au nom de monsieur et de madame du Ronceret.

Le vieux juge ébahi de la duplicité du Président, resta planté sur ses jambes, à sa grille, en regardant les deux femmes qui se sauvèrent par les chemins détournés. Il voyait crouler l’édifice si péniblement bâti durant dix années pour son enfant chéri. Était-ce