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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

elle promptement des mystères auxquels ne songeait pas son mari. Son hangar plein de bois, où sa femme de chambre faisait des savonnages, n’était pas ce qui frappait ses regards, quand, assise à la fenêtre de sa chambre, elle tenait à la main quelque broderie interrompue : elle contemplait Paris où tout est plaisir, où tout est plein de vie, elle en rêvait les fêtes et pleurait d’être dans cette froide prison de province. Elle se désolait d’être dans un pays paisible, où jamais il n’arriverait ni conspiration, ni grande affaire. Elle se voyait pour long-temps sous l’ombre de ce noyer.

Madame Camusot était une petite femme, grasse, fraîche, blonde, ornée d’un front très-busqué, d’une bouche rentrée, d’un menton relevé, traits que la jeunesse rendait supportables, mais qui devaient lui donner de bonne heure un air vieux. Ses yeux vifs et spirituels, mais qui exprimaient un peu trop son innocente envie de parvenir, et la jalousie que lui causaient son infériorité présente, allumaient comme deux lumières dans sa figure commune, et la relevaient par une certaine force de sentiment que le succès devait éteindre plus tard. Elle usait de beaucoup d’industrie pour sa toilette, elle inventait des garnitures, elle se les brodait, elle méditait ses atours avec sa femme de chambre venue avec elle de Paris, et maintenait ainsi la réputation des Parisiennes en province. Sa causticité la rendait redoutable, elle n’était pas aimé. Avec cet esprit fin et investigateur qui distingue les femmes inoccupées, obligées d’employer leur journée, elle avait fini par découvrir les opinions secrètes du Président. Aussi conseillait-elle depuis quelque temps à Camusot de lui déclarer la guerre. L’affaire du jeune comte était une excellente occasion. Avant de venir en soirée chez monsieur du Croisier, elle n’avait pas eu de peine à démontrer à son mari, qu’en cette affaire, le premier Substitut allait contre les intentions de ses chefs. Le rôle de Camusot était de se faire un marchepied de ce procès criminel, en favorisant la maison d’Esgrignon, bien autrement puissante que le parti du Croisier.

— Sauvager n’épousera jamais mademoiselle Duval qu’on lui aura montrée en perspective, il sera la dupe des Machiavels du Val-Noble, auxquels il va sacrifier sa position. Camusot, cette affaire si malheureuse pour les d’Esgrignon et si perfidement entamée par le Président au profit de du Croisier, ne sera favorable qu’à toi, lui avait-elle dit en rentrant.

Cette rusée Parisienne avait également deviné les manœuvres se-