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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

peux réveiller madame du Croisier et me l’envoyer à l’instant. Dis-lui tout ce que tu voudras.

Chesnel devint calme et froid en ouvrant la porte du brillant salon où du Croisier se promenait seul à grands pas. Ces deux hommes se mesurèrent alors pendant un moment par un regard qui avait en profondeur vingt ans de haine et d’inimitié. L’un avait le pied sur le cœur de la maison d’Esgrignon, l’autre s’avançait avec la force d’un lion pour la lui arracher.

— Monsieur, dit Chesnel, je vous salue humblement. Votre plainte a été déposée ?

— Oui, monsieur.

— Depuis quand ?

— Depuis hier.

— Aucun autre acte que le mandat d’arrêt n’est lancé ?

— Je le pense, répliqua du Croisier.

— Je viens traiter.

— La Justice est saisie, la vindicte publique aura son cours, rien ne peut l’arrêter.

— Ne nous occupons pas de cela, je suis à vos ordres, à vos pieds.

Le vieux Chesnel tomba sur ses genoux, et tendit ses mains suppliantes à du Croisier.

— Que vous faut-il ? Voulez-vous nos biens, notre château ! prenez tout, retirez la plainte, ne nous laissez que la vie et l’honneur. Outre tout ce que j’offre, je serai votre serviteur, vous disposerez de moi.

Du Croisier laissa le vieillard à genoux et s’assit dans un fauteuil.

— Vous n’êtes pas vindicatif, vous êtes bon, vous ne nous en voulez pas assez pour ne pas vous prêter à un arrangement, dit le vieillard. Avant le jour, le jeune homme serait libre.

— Toute la ville sait son arrestation, dit du Croisier qui savourait sa vengeance.

— C’est un grand malheur, mais s’il n’y a ni jugement ni preuves, nous arrangerons bien tout.

Du Croisier réfléchissait, Chesnel le crut aux prises avec l’intérêt, il eut l’espoir de tenir son ennemi par ce grand mobile des actions humaines. En ce moment suprême, madame du Croisier se montra.