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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

— Dans tous les cas, dit-elle, si dans cette affaire il vient de Paris des avocats célèbres, elle nous promet des séances de Cour d’Assises bien intéressantes ; mais l’affaire expirera entre le Tribunal et la Cour royale. Il est à croire que le Gouvernement fera secrètement tout ce qu’on peut faire pour sauver un jeune homme qui appartient à de grandes familles, et qui a la duchesse de Maufrigneuse pour amie. Ainsi je ne crois pas que nous ayons de scandale à Landernau.

— Comme vous y allez, madame ! dit sévèrement le Président. Croyez-vous que le Tribunal qui instruira l’affaire et la jugera d’abord, soit influençable par des considérations étrangères à la justice ?

— L’événement prouve le contraire, dit-elle avec malice en regardant le Substitut et le Président qui lui jetèrent un regard froid.

— Expliquez-vous, madame ? dit le Substitut. Vous parlez comme si nous n’avions pas fait notre devoir.

— Les paroles de madame n’ont aucune valeur, dit Camusot.

— Mais celles de monsieur le Président n’ont-elles pas préjugé une question qui dépend de l’Instruction, reprit-elle, et cependant l’Instruction est encore à faire et le Tribunal n’a pas encore prononcé ?

— Nous ne sommes pas au Palais, lui répondit le Substitut avec aigreur, et d’ailleurs nous savons tout cela.

— Monsieur le Procureur du Roi ignore tout encore, lui répliqua-t-elle en le regardant avec ironie. Il va revenir de la Chambre des députés en toute hâte. Vous lui avez taillé de la besogne, il portera sans doute lui-même la parole.

Le Substitut fronça ses gros sourcils touffus, et les intéressés virent écrits sur son front de tardifs scrupules. Il se fit alors un grand silence pendant lequel on n’entendit que jeter et relever les cartes. Monsieur et madame Camusot, qui se virent très-froidement traités, sortirent pour laisser les conspirateurs parler à leur aise.

— Camusot, lui dit sa femme dans la rue, tu t’es trop avancé. Pourquoi faire soupçonner à ces gens que tu ne trempes pas dans leurs plans ? ils te joueront quelque mauvais tour.

— Que peuvent-ils contre moi, je suis le seul Juge d’Instruction.

— Ne peuvent-ils pas te calomnier sourdement et provoquer ta destitution.

En ce moment, le couple fut heurté par Chesnel. Le vieux notaire reconnut le Juge d’Instruction. Avec la lucidité des gens rom-