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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

s’accrocher, répondit madame de Sérisy qui avait la prétention de dire des mots.

— Depuis quelques jours elle s’est mise au vert dans le platonisme, dit des Lupeaulx.

— Elle ruinera ce pauvre innocent, dit Charles de Vandenesse.

— Comment l’entendez-vous ? demanda mademoiselle des Touches.

— Oh ! moralement et financièrement, ca ne fait pas de doute, dit la vicomtesse en se levant.

Ce mot cruel eut de cruelles réalités pour le jeune comte d’Esgrignon. Le lendemain matin, il écrivit à sa tante une lettre où il lui peignit ses débuts dans le monde élevé du faubourg Saint-Germain sous les vives couleurs que jette le prisme de l’amour. Il expliqua l’accueil qu’il recevait partout, de manière à satisfaire l’orgueil de son père. Le marquis se fit lire deux fois cette longue lettre et se frotta les mains en entendant le récit du dîner donné par la vidame de Pamiers, une vieille connaissance à lui, et de la présentation de son fils à la duchesse ; mais il se perdit en conjectures sans pouvoir comprendre la présence du fils cadet d’un juge, du sieur Blondet, qui avait été Accusateur Public pendant la Révolution. Il y eut fête ce soir-là dans le Cabinet des Antiques : on s’y entretint des succès du jeune comte. On fut si discret sur madame de Maufrigneuse que le Chevalier fut le seul homme à qui l’on se confia. Cette lettre était sans post-scriptum financier, sans la conclusion désagréable relative au nerf de la guerre que tout jeune homme ajoute en pareil cas. Mademoiselle Armande communiqua la lettre à Chesnel. Chesnel fut heureux sans élever la moindre objection. Il était clair, comme le disaient le Chevalier et le marquis, qu’un jeune homme aimé par la duchesse de Maufrigneuse allait être un des héros de la Cour, où, comme autrefois, on parvenait à tout par les femmes. Le jeune comte n’avait pas mal choisi. Les douairières racontèrent toutes les histoires galantes des Maufrigneuse depuis Louis XIII jusqu’à Louis XVI, elles firent grâce des règnes antérieurs ; enfin elles furent enchantées. On loua beaucoup madame de Maufrigneuse de s’intéresser à Victurnien. Le cénacle du Cabinet des Antiques eût été digne d’être écouté par un auteur dramatique qui aurait voulu faire de la vraie comédie. Victurnien reçut des lettres charmantes de son père, de sa tante, du Chevalier qui se rappelait au souvenir du vidame, avec lequel il était