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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

marquise d’Espard, en venant lui dire adieu, commença par lui souffler : « Bien ! très-bien ! ma chère ! » à l’oreille. Puis la belle marquise laissa sa rivale voyager sur la carte moderne du pays de Tendre, qui n’est pas une conception aussi ridicule que le pensent quelques personnes. Cette carte se regrave de siècle en siècle avec d’autres noms et mène toujours à la même capitale. En une heure de tête à tête public, dans un coin, sur un divan, la duchesse amena d’Esgrignon aux générosités scipionesques, aux dévouements amadisiens, aux abnégations du moyen âge qui commençait alors à montrer ses dagues, ses machicoulis, ses cottes, ses hauberts, ses souliers à la poulaine, et tout son romantique attirail de carton peint. Elle fut d’ailleurs admirable d’idées inexprimées, et fourrées dans le cœur de Victurnien comme des aiguilles dans une pelote, une à une, de façon distraite et discrète. Elle fut merveilleuse de réticences, charmante d’hypocrisie, prodigue de promesses subtiles qui fondaient à l’examen comme de la glace au soleil après avoir rafraîchi l’espoir, enfin très-perfide de désirs conçus et inspirés. Cette belle rencontre finit par le nœud coulant d’une invitation à venir la voir, passé avec ces manières chattemittes que l’écriture imprimée ne peindra jamais.

— Vous m’oublierez ! disait-elle, vous verrez tant de femmes empressées à vous faire la cour au lieu de vous éclairer… — Mais vous me reviendrez désabusé. — Viendrez-vous, auparavant ?… Non. Comme vous voudrez. — Moi je dis tout naïvement que vos visites me plairaient beaucoup. Les gens qui ont de l’âme sont si rares, et je vous en crois. — Allons, adieu, l’on finirait par causer de nous si nous causions davantage.

À la lettre, elle s’envola. Victurnien ne resta pas long-temps après le départ de la duchesse ; mais il demeura cependant assez pour laisser deviner son ravissement par cette attitude des gens heureux, qui tient à la fois de la discrétion calme des inquisiteurs et de la béatitude concentrée des dévotes qui sortent absoutes du confessionnal.

— Madame de Maufrigneuse est allée au but assez lestement ce soir, dit la duchesse de Grandlieu, quand il n’y eut plus que six personnes dans le petit salon de mademoiselle des Touches : des Lupeaulx, un maître des requêtes en faveur auprès de la duchesse, Vandenesse, la vicomtesse de Grandlieu et madame de Sérisy.

— D’Esgrignon et Maufrigneuse sont deux noms qui devaient