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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

— Mon cher, il sera, dit-il, uist ! sifflé comme un polichinelle par un cocher de fiacre.

Ce mot horriblement vulgaire prédisait admirablement les événements de cette passion. La duchesse de Maufrigneuse s’était affolée de Victurnien après l’avoir sérieusement étudié. Un amoureux qui eût vu le regard angélique par lequel elle remercia le vidame de Pamiers eût été jaloux d’une semblable expression d’amitié. Les femmes sont comme des chevaux lâchés dans un steppe quand elles se trouvent, comme la duchesse en présence du vidame, sur un terrain sans danger : elles sont naturelles alors, elles aiment peut-être à donner ainsi des échantillons de leurs tendresses secrètes. Ce fut un regard discret, d’œil à d’œil, sans répétition possible dans aucune glace, et que personne ne surprit.

— Comme elle s’est préparée ! dit Rastignac à Marsay. Quelle toilette de vierge, quelle grâce de cygne dans son col de neige, quels regards de Madone inviolée, quelle robe blanche, quelle ceinture de petite fille ! Qui dirait que tu as passé par là ?

— Mais elle est ainsi par cela même, répondit de Marsay d’un air de triomphe.

Les deux jeunes gens échangèrent un sourire. Madame de Maufrigneuse surprit ce sourire et devina le discours. Elle lança aux deux roués une de ces œillades que les Françaises ne connaissaient pas avant la paix, et qui ont été importées par les Anglaises avec les formes de leur argenterie, leurs harnais, leurs chevaux et leurs piles de glace britannique qui rafraîchissent un salon quand il s’y trouve une certaine quantité de ladies. Les deux jeunes gens devinrent sérieux comme des commis qui attendent une gratification au bout de la remontrance que leur fait un directeur. En s’amourachant de Victurnien, la duchesse s’était résolue à jouer ce rôle d’Agnès romantique, que plusieurs femmes imitèrent pour le malheur de la jeunesse d’aujourd’hui. Madame de Maufrigneuse venait de s’improviser ange, comme elle méditait de tourner à la littérature et à la science vers quarante ans au lieu de tourner à la dévotion. Elle tenait à ne ressembler à personne. Elle se créait des rôles et des robes, des bonnets et des opinions, des toilettes et des façons d’agir originales. Après son mariage, quand elle était encore quasi jeune fille, elle avait joué la femme instruite et presque perverse, elle s’était permis des reparties compromettantes auprès des gens superficiels, mais qui prouvaient son ignorance aux vrais connais-