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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

de cette encyclopédie babylonienne, combien il serait fou de se mettre en travers du torrent des idées et des mœurs nouvelles. Un seul fait lui suffit. La veille, il avait remis la lettre de son père au duc de Lenoncourt, un des seigneurs français le plus en faveur auprès du Roi ; il l’avait trouvé dans son magnifique hôtel, au milieu des splendeurs aristocratiques, le lendemain il le rencontra sur le boulevard, à pied, un parapluie à la main, flânant, sans aucune distinction, sans son cordon bleu que jadis un chevalier des Ordres ne pouvait jamais quitter. Ce duc et pair, Premier Gentilhomme de la Chambre du Roi, n’avait pu, malgré sa haute politesse, retenir un sourire en lisant la lettre du marquis, son parent. Ce sourire avait dit à Victurnien qu’il y avait plus de soixante lieues entre le Cabinet des Antiques et les Tuileries ; il y avait une distance de plusieurs siècles.

À chaque époque, le Trône et la Cour se sont entourés de familles favorites sans aucune ressemblance ni de nom ni de caractères avec celles des autres règnes. Dans cette sphère, il semble que ce soit le Fait et non l’Individu qui se perpétue. Si l’Histoire n’était là pour prouver cette observation, elle serait incroyable. La Cour de Louis XVIII mettait alors en relief des hommes presque étrangers à ceux qui ornaient celle de Louis XV : les Rivière, les Blacas, les d’Avaray, les Dambray, les Vaublanc, Vitrolles, d’Autichamp, Larochejaquelein, Pasquier, Decazes, Lainé, de Villèle, La Bourdonnaye, etc. Si vous comparez la Cour de Henri IV à celle de Louis XIV, vous n’y retrouvez pas cinq grandes maisons subsistantes : Villeroy, favori de Louis XIV, était le petit-fils d’un secrétaire parvenu sous Charles IX. Le neveu de Richelieu n’y est presque rien déjà. Les d’Esgrignon, tout-puissants sous Henri IV, quasi princiers sous les Valois, n’avaient aucune chance à la Cour de Louis XVIII, qui ne songeait seulement pas à eux. Aujourd’hui des noms aussi illustres que celui des maisons souveraines, comme les Foix-Grailly, faute d’argent, la seule puissance de ce temps, sont dans une obscurité qui équivaut à l’extinction. Aussitôt que Victurnien eut jugé ce monde, et il ne le jugea que sous ce rapport en se sentant blessé par l’égalité parisienne, monstre qui acheva sous la Restauration de dévorer le dernier morceau de l’État social, il voulut reconquérir sa place avec les armes dangereuses, quoique émoussées, que le siècle laissait à la noblesse : il imita les allures de ceux à qui Paris accordait sa coûteuse attention, il