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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

connut, en voyant le souper du curé, la frugalité de son propre ménage.

— Monsieur l’abbé, dit-elle, je viens vous supplier… Elle fondit en larmes sans pouvoir achever.

— Je sais ce qui vous amène, répondit le saint homme ; mais je me fie à vous, madame, et à votre parente madame du Bousquier, pour apaiser Monseigneur à Séez. Oui, je prierai pour votre malheureux enfant ; oui, je dirai des messes ; mais évitons tout scandale et ne donnons pas lieu aux méchants de la ville de se rassembler dans l’église… Moi seul, sans clergé, nuitamment…

— Oui, oui, comme vous voudrez, pourvu qu’il soit en terre sainte ! dit la pauvre mère en prenant la main du prêtre et la baisant.

Vers minuit donc, une bière fut clandestinement portée à la paroisse par quatre jeunes gens, les camarades les plus aimés d’Athanase. Il s’y trouvait quelques amies de madame Granson, groupes de femmes noires et voilées ; puis les sept ou huit jeunes gens qui avaient reçu quelques confidences de ce talent expiré. Quatre torches éclairaient la bière couverte d’un crêpe. Le curé, servi par un discret enfant de cœur, dit une messe mortuaire. Puis le suicide fut conduit sans bruit dans un coin du cimetière où une croix de bois noirci, sans inscription, indiqua sa place à la mère. Athanase vécut et mourut dans les ténèbres. Aucune voix n’accusa le curé, l’évêque garda le silence. La piété de la mère racheta l’impiété du fils.

Quelques mois après, un soir, la pauvre femme, insensée de douleur, et mue par une de ces inexplicables soifs qu’ont les malheureux de se plonger les lèvres dans leur amer calice, voulut aller voir l’endroit où son fils s’était noyé. Son instinct lui disait peut-être qu’il y avait des pensées à reprendre sous ce peuplier ; peut-être aussi désirait-elle voir ce que son fils avait vu pour la dernière fois ? Il y a des mères qui mourraient de ce spectacle, d’autres s’y livrent à une sainte adoration. Les patients anatomistes de la nature humaine ne sauraient trop répéter les vérités contre lesquelles doivent se briser les éducations, les lois et les systèmes philosophiques. Disons-le souvent : il est absurde de vouloir ramener les sentiments à des formules identiques ; en se produisant chez chaque homme, ils se combinent avec les éléments qui lui sont propres, et prennent sa physionomie.