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LES RIVALITÉS: LA VIEILLE FILLE.

— Je ne réussirai jamais, dit-il en essayant de tromper sa mère sur la funeste résolution qu’il roulait dans sa tête.

— Bah ! ne vas-tu pas te décourager ? Comme tu le dis, la pensée peut tout. Avec dix bouteilles d’encre, dix rames de papier et sa forte volonté, Luther a bouleversé l’Europe ? Eh ! bien, tu t’illustreras, et tu feras le bien avec les mêmes moyens qui lui ont servi à faire le mal. N’as-tu pas dit cela ? Moi, je t’écoute, vois-tu ; je te comprends plus que tu ne le crois, car je te porte encore dans mon sein, et la moindre de tes pensées y retentit comme autrefois le plus léger de tes mouvements.

— Je ne réussirai pas ici, vois-tu, maman ; et je ne veux pas te donner le spectacle de mes déchirements, de mes luttes, de mes angoisses. Oh ! ma mère, laisse-moi quitter Alençon ; je veux aller souffrir loin de toi.

— Je veux être toujours à tes côtés, moi, reprit orgueilleusement la mère. Souffrir sans ta mère, ta pauvre mère qui sera ta servante s’il le faut, qui se cachera pour ne pas te nuire si tu le demandais ; ta mère qui alors ne t’accuserait point d’orgueil. Non, non, Athanase, nous ne nous séparerons jamais.

Athanase embrassa sa mère avec l’ardeur d’un agonisant qui embrasse la vie.

— Je le veux cependant, reprit-il. Sans cela, tu me perdrais… Cette double douleur, la tienne et la mienne, me tuerait. Il vaut mieux que je vive, n’est-ce pas ?

Madame Granson regarda son fils d’un air hagard. — Voilà donc ce que tu couves ! On me le disait bien. Ainsi tu pars !

— Oui.

— Tu ne partiras pas sans me tout dire, sans me prévenir. Il te faut un trousseau, de l’argent. J’ai des louis cousus dans mon jupon de dessous, il faut que je te les donne.

Athanase pleura.

— C’est tout ce que je voulais te dire, reprit-il. Maintenant je vais te conduire chez le Président. Allons…

Le fils et la mère sortirent. Athanase quitta sa mère sur le pas de la porte de la maison où elle allait passer la soirée. Il regarda long-temps la lumière qui s’échappait par les fentes des volets ; il s’y colla, il éprouva la plus frénétique des joies quand, au bout d’un quart d’heure, il entendit sa mère disant : — Grande indépendance en cœur !