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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

une fortune personnelle presque aussi considérable que l’était celle de sa femme. Mais ces foudroyants présages, ces innovations perturbatrices furent dépassés par un événement qui se rattachait à ce mariage et le fit paraître encore plus funeste. Le soir même de la célébration, Athanase et sa mère se trouvaient, après leur dîner, devant un petit feu de bourrées, nommées des régalades, et que la servante leur allumait au dessert dans le salon.

— Eh ! bien, nous irons ce soir chez le Président du Ronceret, puisque nous voilà sans mademoiselle Cormon, dit madame Granson. Mon Dieu ! je ne m’habituerai jamais à l’appeler madame du Bousquier, ce nom-là me déchire les lèvres.

Athanase regarda sa mère d’un air mélancolique et contraint, il ne pouvait plus sourire, et il voulait comme saluer cette naïve pensée qui pansait sa blessure sans la guérir.

— Maman, dit-il en reprenant sa voix d’enfance, tant sa voix fut douce, de même qu’il reprenait ce mot abandonné depuis quelques années ; ma chère maman, ne sortons pas encore, il fait si bon là, devant ce feu !

La mère entendit sans la comprendre cette suprême prière d’une mortelle douleur.

— Restons, mon enfant, dit-elle. J’aime certes mieux causer avec toi, écouter tes projets, que de faire un boston où je puis perdre mon argent.

— Tu es belle ce soir, j’aime à te regarder. Puis je suis dans un courant d’idées qui s’harmonient à ce pauvre petit salon où nous avons tant souffert.

— Où nous souffrirons encore, mon pauvre Athanase, jusqu’à ce que tes ouvrages réussissent. Moi, je suis faite à la misère ; mais toi, mon trésor, voir ta belle jeunesse passée sans plaisir ! rien que du travail dans ta vie ! Cette pensée est une maladie pour une mère ; elle me tourmente le soir, et le matin elle me réveille. Mon Dieu ! mon Dieu ! que vous ai-je fait ? de quel crime me punissez-vous ?

Elle quitta sa bergère, prit une petite chaise et se colla contre Athanase de manière à mettre sa tête sur la poitrine de son enfant. Il y a toujours la grâce de l’amour chez une maternité vraie. Athanase baisa sa mère sur les yeux, sur ses cheveux gris, au front, avec la sainte volonté d’appuyer son âme partout où s’appuyaient ses lèvres.