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grand sculpteur de petites choses, de lui avoir donné les moyens de se passer d’elle.

Le lendemain, ces trois existences, si diversement et si réellement misérables, celle d’une mère au désespoir, celle du ménage Marneffe et celle du pauvre exilé, devaient toutes être affectées par la passion naïve d’Hortense et par le singulier dénoûment que le baron allait trouver à sa passion malheureuse pour Josépha.

Au moment d’entrer à l’Opéra, le Conseiller-d’État fut arrêté par l’aspect un peu sombre du temple de la rue Lepelletier, où il ne vit ni gendarmes, ni lumières, ni gens de service, ni barrières pour contenir la foule. Il regarda l’affiche, y vit une bande blanche au milieu de laquelle brillait ce mot sacramentel :

RELÂCHE PAR INDISPOSITION.

Aussitôt il s’élança chez Josépha qui demeurait dans les environs, comme tous les artistes attachés à l’Opéra, rue Chauchat.

— Monsieur ! que demandez-vous ? lui dit le portier, à son grand étonnement.

— Vous ne me connaissez donc plus ? répondit le baron avec inquiétude.

— Au contraire, monsieur ; c’est parce que j’ai l’honneur de remettre monsieur, que je lui dis : Où allez-vous !

Un frisson mortel glaça le baron.

— Qu’est-il arrivé ? demanda-t-il.

— Si monsieur le baron entrait dans l’appartement de mademoiselle Mirah, il y trouverait mademoiselle Héloïse Brisetout, monsieur Bixiou, monsieur Léon de Lora, monsieur Lousteau, monsieur de Vernisset, monsieur Stidmann, et des femmes pleines de patchouli qui pendent la crémaillère…

— Eh bien ! où donc est ?…

— Mademoiselle Mirah !… Je ne sais pas trop si je fais bien de vous le dire.

Le baron glissa deux pièces de cent sous dans la main du portier.

— Eh bien, elle reste maintenant rue de la Ville-l’Évêque, dans un hôtel que lui a donné, dit-on, le duc d’Hérouville, répondit à voix basse le portier.

Après avoir demandé le numéro de cet hôtel, le baron prit un milord et arriva devant une de ces jolies maisons modernes à doubles portes, où, dès la lanterne de gaz, le luxe se manifeste.