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» Je serai mort dans des pensées chrétiennes. Que Dieu pardonne au dernier des Steinbock !

» Wenceslas ! »

Mademoiselle Fischer, excessivement touchée de la probité du moribond, qui payait son terme, ouvrit le tiroir, et vit en effet cinq pièces de cent sous.

— Pauvre jeune homme ! s’écria-t-elle. Et personne au monde pour s’intéresser à lui !

Elle descendit chez elle, y prit son ouvrage, et vint travailler dans cette mansarde, en veillant le gentilhomme livonien. À son réveil, on peut juger de l’étonnement de l’exilé, quand il vit une femme à son chevet ; il crut continuer un rêve. Tout en faisant des aiguillettes en or pour un uniforme, la vieille fille s’était promis de protéger ce pauvre enfant, qu’elle avait admiré dormant. Lorsque le jeune comte fut tout à fait éveillé, Lisbeth lui donna du courage, et le questionna pour savoir comment lui faire gagner sa vie. Wenceslas, après avoir raconté son histoire, ajouta qu’il avait dû sa place à sa vocation reconnue pour les arts ; il s’était toujours senti des dispositions pour la sculpture ; mais le temps nécessaire aux études lui paraissait trop long pour un homme sans argent, et il se sentait beaucoup trop faible en ce moment pour s’adonner à un état manuel ou entreprendre la grande sculpture. Ces paroles furent du grec pour Lisbeth Fischer. Elle répondit à ce malheureux que Paris offrait tant de ressources, qu’un homme de bonne volonté devait y vivre. Jamais les gens de cœur n’y périssaient quand ils apportaient un certain fonds de patience.

— Je ne suis qu’une pauvre fille, moi, une paysanne, et j’ai bien su m’y créer une indépendance, ajouta-t-elle en terminant. Écoutez-moi. Si vous voulez bien sérieusement travailler, j’ai quelques économies, je vous prêterai mois par mois l’argent nécessaire pour vivre ; mais pour vivre strictement et non pour bambocher, pour courailler ! On peut dîner à Paris à vingt-cinq sous par jour, et je vous ferai votre déjeuner avec le mien tous les matins. Enfin je meublerai votre chambre, et je payerai les apprentissages qui vous sembleront nécessaires. Vous me donnerez des reconnaissances en bonne forme de l’argent que je dépenserai pour vous ; et, quand vous serez riche, vous me rendrez le tout. Mais, si vous ne travaillez pas, je ne me regarderai plus comme engagée à rien, et je vous abandonnerai.