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— Ah çà ! Topinard, avez-vous des rentes ?

— Non, monsieur.

— Vous cherchez donc une place meilleure que la vôtre ? demanda le directeur.

— Non, monsieur… répondit le gagiste en devenant blême.

— Que diable, ta femme est ouvreuse aux premières… J’ai su respecter en elle mon prédécesseur déchu… Je t’ai donné l’emploi de nettoyer les quinquets des coulisses pendant le jour ; enfin, tu es attaché aux partitions. Ce n’est pas tout ! tu as des feux de vingt sous pour faire les monstres et commander les diables quand il y a des enfers. C’est une position enviée par tous les gagistes, et tu es jalousé, mon ami, au théâtre, où tu as des ennemis.

— Des ennemis !… dit Topinard.

— Et tu as trois enfants, dont l’aîné joue les rôles d’enfant, avec des feux de cinquante centimes !…

— Monsieur…

— Laisse-moi parler… dit Gaudissard d’une voix foudroyante. Dans cette position-là, tu veux quitter le théâtre…

— Monsieur…

— Tu veux te mêler de faire des affaires, de mettre ton doigt dans des successions !… Mais, malheureux, tu serais écrasé comme un œuf ! J’ai pour protecteur Son Excellence Monseigneur le comte Popinot, homme d’esprit et d’un grand caractère, que le roi a eu la sagesse de rappeler dans son conseil… Cet homme d’État, ce politique supérieur, je parle du comte Popinot, a marié son fils aîné à la fille du président de Marville, un des hommes les plus considérables et les plus considérés de l’ordre supérieur judiciaire, un des flambeaux de la cour, au Palais. Tu connais le Palais ? Eh bien ! il est l’héritier de son cousin Pons, notre ancien chef d’orchestre, au convoi de qui tu es allé ce matin. Je ne te blâme pas d’être allé rendre les derniers devoirs à ce pauvre homme… Mais tu ne resterais pas en place, si tu te mêlais des affaires de ce digne monsieur Schmucke, à qui je veux beaucoup de bien, mais qui va se trouver en délicatesse avec les héritiers de Pons… Et comme cet Allemand m’est de peu, que le président et le comte Popinot me sont de beaucoup, je t’engage à laisser ce digne Allemand se dépêtrer tout seul de ses affaires. Il y a un Dieu particulier pour les Allemands, et tu serais très mal en sous-Dieu ! vois-tu, reste gagiste !… tu ne peux pas mieux faire !