Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

donner, absolument comme une vieille fille rapporte une friandise à son chien.

Elle trouva, travaillant à la lueur d’une petite lampe, dont la clarté s’augmentait en passant à travers un globe plein d’eau, le héros des rêves d’Hortense, un pâle jeune homme blond, assis à une espèce d’établi couvert des outils du ciseleur, de cire rouge, d’ébauchoirs, de socles dégrossis, de cuivres fondus sur modèle, vêtu d’une blouse, et tenant un petit groupe en cire à modeler qu’il contemplait avec l’attention d’un poète au travail.

— Tenez, Wenceslas, voilà ce que je vous apporte, dit-elle en plaçant son mouchoir sur un coin de l’établi.

Puis elle tira de son cabas avec précaution les friandises et les fruits.

— Vous êtes bien bonne, mademoiselle, répondit le pauvre exilé d’une voix triste.

— Ça vous rafraîchira, mon pauvre enfant. Vous vous échauffez le sang à travailler ainsi, vous n’étiez pas né pour un si rude métier…

Wenceslas Steinbock regarda la vieille fille d’un air étonné.

— Mangez donc, reprit-elle brusquement, au lieu de me contempler comme une de vos figures quand elles vous plaisent.

En recevant cette espèce de gourmade en paroles, l’étonnement du jeune homme cessa, car il reconnut alors son Mentor femelle dont la tendresse le surprenait toujours, tant il avait l’habitude d’être rudoyé. Quoique Steinbock eût vingt-neuf ans, il paraissait, comme certains blonds, avoir cinq ou six ans de moins, et à voir cette jeunesse, dont la fraîcheur avait cédé sous les fatigues et les misères de l’exil, unie à cette figure sèche et dure, on aurait pensé que la nature s’était trompée en leur donnant leurs sexes. Il se leva, s’alla jeter dans une vieille bergère Louis XV, couverte en velours d’Utrecht jaune, et parut vouloir s’y reposer. La vieille fille prit alors une prune de reine claude, et la présenta doucement à son ami.

— Merci, dit-il en prenant le fruit.

— Êtes-vous fatigué ? demanda-t-elle en lui donnant un autre fruit.

— Je ne suis pas fatigué par le travail, mais fatigué de la vie, répondit-il.

— En voilà des idées ! reprit-elle avec une sorte d’aigreur. N’avez-vous pas un bon génie qui veille sur vous ? dit-elle en lui pré-