Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/629

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force de choses se trahit jusque dans les effets de la Mort. Dans les familles riches, un parent, un ami, les gens d’affaires, évitent ces affreux détails à ceux qui pleurent ; mais en ceci, comme dans la répartition des impôts, le peuple, les prolétaires sans aide, souffrent tout le poids de la douleur.

— Ah ! vous avez bien raison de le regretter, dit Rémonencq à une plainte échappée au pauvre martyr, car c’était un bien brave homme, un bien honnête homme, qui laisse une belle collection ; mais savez-vous, monsieur, que vous, qui êtes étranger, vous allez vous trouver dans un grand embarras, car on dit partout que vous êtes héritier de monsieur Pons.

Schmucke n’écoutait pas ; il était plongé dans une telle douleur, qu’elle avoisinait la folie. L’âme a son tétanos comme le corps.

— Et vous feriez bien de vous faire représenter par un conseil, par un homme d’affaires.

Ein home t’avvaires ! répéta Schmucke machinalement.

— Vous verrez que vous aurez besoin de vous faire représenter. À votre place, moi, je prendrais un homme d’expérience, un homme connu dans le quartier, un homme de confiance… Moi, dans toutes mes petites affaires, je me sers de Tabareau, l’huissier… Et en donnant votre procuration à son premier clerc, vous n’aurez aucun souci.

Cette insinuation, soufflée par Fraisier, convenue entre Rémonencq et la Cibot, resta dans la mémoire de Schmucke ; car, dans les instants où la douleur fige pour ainsi dire l’âme en en arrêtant les fonctions, la mémoire reçoit toutes les empreintes que le hasard y fait arriver. Schmucke écoutait Rémonencq, en le regardant d’un œil si complètement dénué d’intelligence, que le brocanteur ne lui dit plus rien.

— S’il reste imbécile comme cela, pensa Rémonencq, je pourrai bien lui acheter tout le bataclan de là-haut pour cent mille francs, si c’est à lui… — Monsieur, nous voici à la Mairie.

Rémonencq fut forcé de sortir Schmucke du fiacre et de le prendre sous le bras pour le faire arriver jusqu’au bureau des actes de l’État civil, où Schmucke donna dans une noce. Schmucke dut attendre son tour, car, par un de ces hasards assez fréquents à Paris, le commis avait cinq ou six actes de décès à dresser. Là, ce pauvre Allemand devait être en proie à une passion égale à celle de Jésus.

— Monsieur est monsieur Schmucke ? dit un homme vêtu de