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— Si donc vous n’avez que des collatéraux éloignés, la loi vous laissant la libre disposition de vos meubles et immeubles, si vous ne les léguez pas à des conditions que la morale réprouve, car vous avez dû voir des testaments attaqués à cause de la bizarrerie des testateurs, un testament par-devant notaire est inattaquable. En effet, l’identité de la personne ne peut être niée, le notaire a constaté l’état de sa raison, et la signature ne peut donner lieu à aucune discussion… Néanmoins, un testament olographe, en bonne forme et clair, est aussi peu discutable.

— Je me décide, pour des raisons à moi connues, à écrire sous votre dictée un testament olographe, et à le confier à mon ami que voici… Cela se peut-il ?…

— Très bien ! dit le notaire.. Voulez-vous écrire ? je vais dicter.

— Schmucke, donne-moi ma petite écritoire de Boule. Monsieur, dictez-moi tout bas ; car, ajouta-t-il, on peut nous écouter.

— Dites-moi donc avant tout quelles sont vos intentions, demanda le notaire.

Au bout de dix minutes, la Cibot, que Pons entrevoyait dans une glace, vit cacheter le testament, après que le notaire l’eut examiné pendant que Schmucke allumait une bougie ; puis Pons le remit à Schmucke en lui disant de le serrer dans une cachette pratiquée dans son secrétaire. Le testateur demanda la clef du secrétaire, l’attacha dans le coin de son mouchoir, et mit le mouchoir sous son oreiller. Le notaire, nommé par politesse exécuteur testamentaire, et à qui Pons laissait un tableau de prix, une de ces choses que la loi permet de donner à un notaire, sortit et trouva madame Cibot dans le salon.

— Eh bien ! monsieur ? monsieur Pons a-t-il pensé à moi ?

— Vous ne vous attendez pas, ma chère, à ce qu’un notaire trahisse les secrets qui lui sont confiés, répondit monsieur Trognon. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’il y aura bien des cupidités déjouées et bien des espérances trompées. Monsieur Pons a fait un beau testament plein de sens, un testament patriotique et que j’approuve fort.

On ne se figure pas à quel degré de curiosité la Cibot arriva, stimulée par de telles paroles. Elle descendit et passa la nuit près de Cibot, en se promettant de se faire remplacer par mademoiselle Rémonencq, et d’aller lire le testament entre deux et trois heures du matin.