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lité, la même confiance à mes protecteurs, je n’ose dire de vous, mes clients. Vous pouvez croire qu’en agissant ainsi, je veux m’accrocher à l’affaire ; non, non, madame : s’il se commettait des choses répréhensibles… car, en matière de succession, on est entraîné… surtout par un poids de neuf cent mille francs… eh bien ! vous ne pouvez pas désavouer un homme comme maître Godeschal, la probité même ; mais on peut rejeter tout sur le dos d’un méchant petit homme d’affaires…

La présidente regarda Fraisier avec admiration.

— Vous devez aller bien haut ou bien bas, lui dit-elle. À votre place, au lieu d’ambitionner cette retraite de juge de paix, je voudrais être procureur du roi… à Mantes ! et faire un grand chemin.

— Laissez-moi faire, madame ! la justice de paix est un cheval de curé pour monsieur Vitel, je m’en ferai un cheval de bataille.

La présidente fut amenée ainsi à sa dernière confidence avec Fraisier.

— Vous me paraissez dévoué si complètement à nos intérêts, dit-elle, que je vais vous initier aux difficultés de notre position et à nos espérances. Le président, lors du mariage projeté pour sa fille et un intrigant qui, depuis, s’est fait banquier, désirait vivement augmenter la terre de Marville de plusieurs herbages, alors à vendre. Nous nous sommes dessaisis de cette magnifique habitation pour marier ma fille comme vous savez ; mais je souhaite bien vivement, ma fille étant fille unique, acquérir le reste de ces herbages. Ces belles prairies ont été déjà vendues en partie, elles appartiennent à un Anglais qui retourne en Angleterre, après avoir demeuré là pendant vingt ans ; il a bâti le plus charmant cottage dans une délicieuse situation, entre le parc de Marville et les prés qui dépendaient autrefois de la terre, et il a racheté, pour se faire un parc, des remises, des petits bois, des jardins à des prix fous. Cette habitation avec ses dépendances forme fabrique dans le paysage, et elle est contiguë aux murs du parc de ma fille. On pourrait avoir les herbages et l’habitation pour sept cent mille francs, car le produit net des prés est de vingt mille francs… Mais si monsieur Wadmann apprend que c’est nous qui achetons, il voudra sans doute deux ou trois cent mille francs de plus, car il les perd, si, comme cela se fait en matière rurale, on ne compte l’habitation pour rien…

— Mais, madame, vous pouvez, selon moi, si bien regarder la