Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son beau-père le dépouillement auquel elle avait été contrainte pour marier sa fille avec le vicomte Popinot, et demandait au vieillard s’il pouvait fermer à son fils aîné le chemin aux honneurs suprêmes de la magistrature, qui ne seraient plus accordés qu’à une forte position parlementaire, et son mari saurait la prendre et se faire craindre des ministres. — Ces gens-là n’accordent rien qu’à ceux qui leur tordent la cravate au cou jusqu’à ce qu’ils tirent la langue, dit-elle. Ils sont ingrats !… Que ne doivent-ils pas à Camusot ! Camusot, en poussant aux ordonnances de Juillet, a causé l’élévation de la maison d’Orléans !…

Le vieillard se disait entraîné dans les chemins de fer au delà de ses moyens, et il remettait cette libéralité, de laquelle il reconnaissait d’ailleurs la nécessité, lors d’une hausse prévue sur les actions.

Cette quasi-promesse, arrachée quelques jours auparavant, avait plongé la présidente dans la désolation. Il était douteux que l’ex-propriétaire de Marville pût être en mesure lors de la réélection de la Chambre, car il lui fallait la possession annale.

Fraisier parvint sans peine jusqu’à Madeleine Vivet. Ces deux natures de vipère se reconnurent pour être sorties du même œuf.

— Mademoiselle, dit doucereusement Fraisier, je désirerais obtenir un moment d’audience de madame la présidente pour une affaire qui lui est personnelle et qui concerne sa fortune ; il s’agit, dites-le-lui bien, d’une succession… Je n’ai pas l’honneur d’être connu de madame la présidente, ainsi mon nom ne signifierait rien pour elle… Je n’ai pas l’habitude de quitter mon cabinet, mais je sais quels égards sont dus à la femme d’un président, et j’ai pris la peine de venir moi-même, d’autant plus que l’affaire ne souffre pas le plus léger retard.

La question posée dans ces termes-là, répétée et amplifiée par la femme de chambre, amena naturellement une réponse favorable. Ce moment était décisif pour les deux ambitions contenues en Fraisier. Aussi, malgré son intrépidité de petit avoué de province, cassant, âpre et incisif, il éprouva ce qu’éprouvent les capitaines au début d’une bataille d’où dépend le succès de la campagne. En passant dans le petit salon où l’attendait Amélie, il eut ce qu’aucun sudorifique, quelque puissant qu’il fût, n’avait pu produire encore sur cette peau réfractaire et bouchée par d’affreuses maladies, il se sentit une légère sueur dans le dos et au front. — Si ma fortune ne se fait pas, se dit-il, je suis sauvé, car Poulain m’a promis la