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des fonds. Aussi, Gaudissard, appuyé sur ces quinze pour cent de dividende, parlait-il de son intelligence, de sa probité, de son zèle et du bonheur de ses commanditaires. Quand le comte Popinot demanda, par un semblant d’intérêt, à monsieur Matifat, au général Gouraud, gendre de Matifat, à Crevel, s’ils étaient contents de Gaudissard, Gouraud, devenu pair de France, répondit : — On nous dit qu’il nous vole, mais il est si spirituel, si bon enfant, que nous sommes contents… — C’est alors comme dans le conte de La Fontaine, dit l’ancien ministre en souriant. Gaudissard faisait valoir ses capitaux dans des affaires en dehors du théâtre. Il avait bien jugé les Graff, les Schwab et les Brunner, il s’associa dans les entreprises de chemins de fer que cette maison lançait. Cachant sa finesse sous la rondeur et l’insouciance du libertin, du voluptueux, il avait l’air de ne s’occuper que de ses plaisirs et de sa toilette ; mais il pensait à tout, et mettait à profit l’immense expérience des affaires qu’il avait acquise en voyageant. Ce parvenu, qui ne se prenait pas au sérieux, habitait un appartement luxueux, arrangé par les soins de son décorateur, et où il donnait des soupers et des fêtes aux gens célèbres. Fastueux, aimant à bien faire les choses, il se donnait pour un homme coulant, et il semblait d’autant moins dangereux, qu’il avait gardé la platine de son ancien métier, pour employer son expression, en la doublant de l’argot des coulisses. Or, comme, au théâtre, les artistes disent crûment les choses, il empruntait assez d’esprit aux coulisses, qui ont leur esprit, pour, en le mêlant à la plaisanterie vive du commis voyageur, avoir l’air d’un homme supérieur. En ce moment, il pensait à vendre son privilège et à passer, selon son mot, à d’autres exercices. Il voulait être à la tête d’un chemin de fer, devenir un homme sérieux, un administrateur, et épouser la fille d’un des plus riches maires de Paris, mademoiselle Minard. Il espérait être nommé député sur sa ligne et arriver, par la protection de Popinot, au Conseil d’État.

— À qui ai-je l’honneur de parler ? dit Gaudissard en arrêtant sur la Cibot un regard directorial.

— Je suis, monsieur, la femme de confiance de monsieur Pons.

— Eh bien ! comment va-t-il, ce cher garçon ?…

— Mal, très mal, monsieur.

— Diable ! diable ! j’en suis fâché, je l’irai voir ; car c’est un de ces hommes rares…