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celle d’une femme entretenue, la fameuse Esther, qui a laissé plusieurs millions, et on accusait ce jeune homme de l’avoir empoisonnée, car il était l’héritier institué par le testament. Ce jeune poète n’était pas à Paris quand cette fille est morte, il ne se savait pas héritier !… On ne peut pas être plus innocent que cela. Eh bien ! après avoir été interrogé par monsieur Camusot, ce jeune homme s’est pendu dans son cachot. La Justice, c’est comme la Médecine, elle a ses victimes. Dans le premier cas, on meurt pour la société ; dans le second, pour la Science, dit-il en laissant échapper un affreux sourire. Eh bien ! vous voyez que je connais le danger… Je suis déjà ruiné par la Justice, moi, pauvre petit avoué obscur. Mon expérience me coûte cher, elle est toute à votre service.

— Ma foi, non, merci… dit la Cibot, je renonce à tout ! j’aurai fait un ingrat. Je ne veux que mon dû ! J’ai trente ans de probité, monsieur. Mon monsieur Pons dit qu’il me recommandera sur son testament à son ami Schmucke ; eh bien ! je finirai mes jours en paix chez ce brave Allemand…

Fraisier dépassait le but, il avait découragé la Cibot, et il fut obligé d’effacer les tristes impressions qu’elle avait reçues.

— Ne désespérons de rien, dit-il, allez-vous-en chez vous, tout tranquillement. Allez, nous conduirons l’affaire à bon port.

— Mais que faut-il que je fasse alors, mon bon monsieur Fraisier, pour avoir des rentes, et ?…

— N’avoir aucun remords, dit-il vivement en coupant la parole à la Cibot. Eh ! mais, c’est précisément pour ce résultat que les gens d’affaires sont inventés. On ne peut rien avoir dans ces cas-là sans se tenir dans les termes de la loi… Vous ne connaissez pas les lois, moi je les connais… Avec moi, vous serez du côté de la légalité, vous posséderez en paix vis-à-vis des hommes, car la conscience, c’est votre affaire.

— Eh bien ! dites, reprit la Cibot, que ces paroles rendirent curieuse et heureuse.

— Je ne sais pas, je n’ai pas étudié l’affaire dans ses moyens, je ne me suis occupé que des obstacles. D’abord, il faut, voyez-vous, pousser au testament, et vous ne ferez pas fausse route ; mais avant tout, sachons en faveur de qui Pons disposera de sa fortune, car si vous étiez son héritière…

— Non, non, il ne m’aime pas ! Ah ! si j’avais connu la valeur