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tombeau, tableau peint pour Charles-Quint, qui fut envoyé par le grand homme au grand Empereur, accompagné d’une lettre écrite tout entière de la main du Titien, et cette lettre est collée au bas de la toile. Il a, du même peintre, l’original, la maquette d’après laquelle tous les portraits de Philippe II ont été faits. Les quatre-vingt-dix-sept autres tableaux sont tous de cette force et de cette distinction. Aussi Magus se rit-il de notre musée, ravagé par le soleil qui ronge les plus belles toiles en passant par des vitres dont l’action équivaut à celle des lentilles. Les galeries de tableaux ne sont possibles qu’éclairées par leurs plafonds. Magus fermait et ouvrait les volets de son musée lui-même, déployait autant de soins et de précautions pour ses tableaux que pour sa fille, son autre idole. Ah ! le vieux tableaumane connaissait bien les lois de la peinture ! Selon lui, les chefs-d’œuvre avaient une vie qui leur était propre, ils étaient journaliers, leur beauté dépendait de la lumière qui venait les colorer, il en parlait comme les Hollandais parlaient jadis de leurs tulipes, et venait voir tel tableau, à l’heure où le chef-d’œuvre resplendissait dans toute sa gloire, quand le temps était clair et pur.

C’était un tableau vivant au milieu de ces tableaux immobiles que ce petit vieillard, vêtu d’une méchante petite redingote, d’un gilet de soie décennal, d’un pantalon crasseux, la tête chauve, le visage creux, la barbe frétillante et dardant ses poils blancs, le menton menaçant et pointu, la bouche démeublée, l’œil brillant comme celui de ses chiens, les mains osseuses et décharnées, le nez en obélisque, la peau rugueuse et froide, souriant à ces belles créations du génie ! Un Juif, au milieu de trois millions, sera toujours un des plus beaux spectacles que puisse donner l’humanité. Robert Médal, notre grand acteur, ne peut pas, quelque sublime qu’il soit, atteindre à cette poésie. Paris est la ville du monde qui recèle le plus d’originaux en ce genre, ayant une religion au cœur. Les excentriques de Londres finissent toujours par se dégoûter de leurs adorations comme ils se dégoûtent de vivre ; tandis qu’à Paris les monomanes vivent avec leur fantaisie dans un heureux concubinage d’esprit. Vous y voyez souvent venir à vous des Pons, des Élie Magus vêtus fort pauvrement, le nez comme celui du secrétaire perpétuel de l’Académie française, à l’ouest ! ayant l’air de ne tenir à rien, de ne rien sentir, ne faisant aucune attention aux femmes, aux magasins, allant pour ainsi dire au hasard, le vide dans leur poche, pa-