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Hâlons nus-en, bir ne bas rengondrer t’audres pèdes.

C’était la première fois de sa vie, vraiment ovine, que Schmucke proférait de telles paroles. Jamais sa mansuétude quasi divine n’avait été troublée, il eût souri naïvement à tous les malheurs qui seraient venus à lui ; mais voir maltraiter son sublime Pons, cet Aristide inconnu, ce génie résigné, cette âme sans fiel, ce trésor de bonté, cet or pur ! … il éprouvait l’indignation d’Alceste, et il appelait les amphitryons de Pons, des bêtes ! Chez cette paisible nature, ce mouvement équivalait à toutes les fureurs de Roland. Dans une sage prévision, Schmucke fit retourner Pons vers le boulevard du Temple ; et Pons se laissa conduire, car le malade était dans la situation de ces lutteurs qui ne comptent plus les coups. Le hasard voulut que rien ne manquât en ce monde contre le pauvre musicien. L’avalanche qui roulait sur lui devait tout contenir : la Chambre des pairs, la Chambre des députés, la famille, les étrangers, les forts, les faibles, les innocents !

Sur le boulevard Poissonnière, en revenant chez lui, Pons vit venir la fille de ce même monsieur Cardot, une jeune femme qui avait assez éprouvé de malheurs pour être indulgente. Coupable d’une faute tenue secrète, elle s’était faite l’esclave de son mari. De toutes les maîtresses de maison où il dînait, madame Berthier était la seule que Pons nommât de son petit nom ; il lui disait : « Félicie ! » et il croyait parfois être compris par elle. Cette douce créature parut contrariée de rencontrer le cousin Pons ; car, malgré l’absence de toute parenté avec la famille de la seconde femme de son cousin le vieux Camusot, il était traité de cousin ; mais, ne pouvant l’éviter, Félicie Berthier s’arrêta devant le moribond.

— Je ne vous croyais pas méchant, mon cousin ; mais si, de tout ce que j’entends dire de vous, le quart seulement est vrai, vous êtes un homme bien faux… Oh ! ne vous justifiez pas ! ajouta-t-elle vivement en voyant faire à Pons un geste, c’est inutile par deux raisons : la première, c’est que je n’ai le droit d’accuser, ni de juger, ni de condamner personne, sachant par moi-même que ceux qui paraissent avoir le plus de torts peuvent offrir des excuses ; la seconde, c’est que vos raisons ne serviraient à rien. Monsieur Berthier, qui a fait le contrat de mademoiselle de Marville et du vicomte Popinot, est tellement irrité contre vous que, s’il apprenait que je vous ai dit un seul mot, que je vous ai parlé pour la dernière fois, il me gronderait. Tout le monde est contre vous.