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avec laquelle les gens de la campagne, de même que les Sauvages, passent du sentiment à l’action. En ceci peut-être consiste toute la différence qui sépare l’homme naturel de l’homme civilisé. Le Sauvage n’a que des sentiments, l’homme civilisé a des sentiments et des idées. Aussi, chez les Sauvages, le cerveau reçoit-il pour ainsi dire peu d’empreintes, il appartient alors tout entier au sentiment qui l’envahit, tandis que chez l’homme civilisé, les idées descendent sur le cœur qu’elles transforment ; celui-ci est à mille intérêts, à plusieurs sentiments, tandis que le Sauvage n’admet qu’une idée à la fois. C’est la cause de la supériorité momentanée de l’enfant sur les parents et qui cesse avec le désir satisfait ; tandis que, chez l’homme voisin de la Nature, cette cause est continue. La cousine Bette, la sauvage Lorraine, quelque peu traîtresse, appartenait à cette catégorie de caractères plus communs chez le peuple qu’on ne pense, et qui peut en expliquer la conduite pendant les révolutions.

Au moment où cette Scène commence, si la cousine Bette avait voulu se laisser habiller à la mode ; si elle s’était, comme les Parisiennes, habituée à porter chaque nouvelle mode, elle eût été présentable et acceptable ; mais elle gardait la roideur d’un bâton. Or, sans grâces, la femme n’existe point à Paris. Ainsi, la chevelure noire, les beaux yeux durs, la rigidité des lignes du visage, la sécheresse calabraise du teint qui faisaient de la cousine Bette une figure du Giotto, et desquels une vraie Parisienne eût tiré parti, sa mise étrange surtout, lui donnaient une si bizarre apparence, que parfois elle ressemblait aux singes habillés en femmes, promenés par les petits Savoyards. Comme elle était bien connue dans les maisons unies par les liens de famille où elle vivait, qu’elle restreignait ses évolutions sociales à ce cercle, qu’elle aimait son chez soi, ses singularités n’étonnaient plus personne, et disparaissaient au dehors dans l’immense mouvement parisien de la rue, où l’on ne regarde que les jolies femmes.

Les rires d’Hortense étaient en ce moment causés par un triomphe remporté sur l’obstination de la cousine Bette, elle venait de lui surprendre un aveu demandé depuis trois ans. Quelque dissimulée que soit une vieille fille, il est un sentiment qui lui fera toujours rompre le jeûne de la parole, c’est la vanité ! Depuis trois ans, Hortense, devenue excessivement curieuse en certaine matière, assaillait sa cousine de questions où respirait