Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/395

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la cuisine, elle fut l’objet de son mépris. Le cuisinier courtisait Louise, la femme de chambre de la comtesse Steinbock. Aussi la Normande, se voyant maltraitée, se plaignit-elle de son sort ; elle était toujours envoyée dehors, sous un prétexte quelconque, quand le chef finissait un plat ou parachevait une sauce. — Décidément, je n’ai pas de chance, disait-elle, j’irai dans une autre maison. Néanmoins, elle resta, quoiqu’elle eût demandé déjà deux fois à sortir.

Une nuit, Adeline, réveillée par un bruit étrange, ne trouva plus Hector dans le lit qu’il occupait auprès du sien, car ils couchaient dans des lits jumeaux, ainsi qu’il convient à des vieillards. Elle attendit une heure sans voir revenir le baron. Prise de peur, croyant à une catastrophe tragique, à l’apoplexie, elle monta d’abord à l’étage supérieur occupé par les mansardes où couchaient les domestiques, et fut attirée vers la chambre d’Agathe, autant par la vive lumière qui sortait par la porte, entrebâillée, que par le murmure de deux voix. Elle s’arrêta tout épouvantée en reconnaissant la voix du baron, qui, séduit par les charmes d’Agathe, en était arrivé par la résistance calculée de cette atroce maritorne, à lui dire ces odieuses paroles : — Ma femme n’a pas long-temps à vivre, et si tu veux tu pourras être baronne. Adeline jeta un cri, laissa tomber son bougeoir et s’enfuit.

Trois jours après, la baronne, administrée la veille, était à l’agonie et se voyait entourée de sa famille en larmes. Un moment avant d’expirer, elle prit la main de son mari, la pressa et lui dit à l’oreille : — Mon ami, je n’avais plus que ma vie à te donner : dans un moment tu seras libre, et tu pourras faire une baronne Hulot.

Et l’on vit, ce qui doit être rare, des larmes sortir des yeux d’une morte. La férocité du Vice avait vaincu la patience de l’ange, à qui, sur le bord de l’Éternité, il échappa le seul mot de reproche qu’elle eût fait entendre de toute sa vie.

Le baron Hulot quitta Paris trois jours après l’enterrement de sa femme. Onze mois après, Victorin apprit indirectement le mariage de son père avec mademoiselle Agathe Piquetard, qui s’était célébré à Isigny, le premier février mil huit cent quarante-six.

— Les ancêtres peuvent s’opposer au mariage de leurs enfants, mais les enfants ne peuvent pas empêcher les folies des ancêtres en enfance, dit maître Hulot à maître Popinot, le second fils de l’ancien ministre du commerce, qui lui parlait de ce mariage.